Juillet 2018
Cher lecteur,
Préparant cette seconde newsletter du projet de coopération Mémisa-FMG, je relis la « Chronique du projet Sa.M.O.A. » qui rassemble les textes, rapports de mission et commentaires de celles et ceux qui y œuvrèrent entre juillet 1997 et décembre 2003.
Le projet Sa.M.O.A. est né à la fin des années 90 de la rencontre des équipes de l’association « Fraternité Médicale Guinée » à Conakry et de l’équipe bruxelloise du service de santé mentale « La Gerbe ». Acronyme de « Santé Mentale en milieu Ouvert enAfrique », il se voulait projet pilote.
« Work in progress », ou plus précisément : « Ralentir Travaux » comme l’auraient dit nos amis surréalistes1, il devait servir de laboratoire destiné à vérifier l’hypothèse suivante : « En Afrique, comme en Europe, l’intégrationdes soins de Santé Mentale dans la pratique des généralistes au niveau des services de santé polyvalents, sur un mode ambulatoire, est possible et efficace.»2Sur le plan logistique, le projet Sa.M.O.A. vit le jour grâce à l’appui de l’ONG belge « Médicus Mundi Belgique », du département de Santé Publique de l’ « Institut de Médecine Tropicale » d’Anvers (dont faisaient partie les Professeurs Guy Kegels et Bart Criel), d’un comité scientifique prestigieux, et fut réalisé de début 2000 à fin 2003 grâce au soutien financier de l’Union Européenne. Le projet Sa.M.O.A. fut l’embryon de ce qui est devenu aujourd’hui – quelques 18 ans plus tard – le volet « santé mentale » du soutien qu’apporte l’ONG belge Mémisa à l’ONG guinéenne FMG avec l’aide conjointe de la Dgd3.
Mais comment, quant’ au fond, aborder une telle question ?
Alors : « Travaux Ralentir ».
Parce qu’il nous faut bien reconnaître que ni les notions de maladie mentale ni de psychiatrie ne sont aujourd’hui arrêtées, ne font aujourd’hui consensus international comme c’est le cas en médecine organique.
Nous pensons également que les outils conceptuels avec lesquels nous travaillons (celui de « multidimensionnalité » proposé dans la newsletter 1 en est un exemple) sont d’autant plus efficaces, donnent à leur utilisateur le plus d’aisance et de liberté, qu’ils sont clairs et précis.
Je m’étais déjà permis, il y a longtemps maintenant, de comparer ces outils conceptuels aux gants du chirurgien : ils protègent autant le patient que le médecin de contaminations réciproques. Et si la finesse et l’élégance de ceux acquis auprès de nos maîtres en psychiatrie (Charcot, Kraepelin, Freud, Ey, Lacan, Schotte et quelques autres – dont je me fais le porte-parole) nous ont permis d’opérer avec justesse les distinctions nécessaires à notre pratique clinique, il nous est difficile aujourd’hui de les troquer pour quelques gants de boxes habillant une main de Mickey sous prétexte qu’ils nous viennent d’outre atlantique.
Exit le DSM de l’APA (non comme instrument de classification à des fins administratives – ce dont il est la raison d’être, certes, mais comme guide de voyage au pays de la folie). Dans le même sens, le mhGAP qui annonce vouloir dire « que faire4 » mais ni « comment» et encore moins « pourquoi » semble ne pas être des plus attentif à l’intelligence des soignants des pays dits en voie de développement de ce qu’est, dans leur pays et selon leur expérience de la vie (qui n’a pas attendu l’OMS), une maladie mentale.
Alors… Et s’il nous fallait inventer ? Certes, mais pouvions-nous partir d’autre chose que de la clinique.
Par exemple :
La première étude en psychiatrie transculturelle de l’OMS (Sartorius and co.) publiée en 1978 s’intitule “Cross-cultural differences in the short-term prognosis of schizophrenic psychoses”5.Cette étude date d’il y a bientôt un demi-siècle si l’on tient compte du délai entre les premières études de terrain, du temps sur lequel a porté l’étude et du délai de publication. Mais elle reste d’une criante actualité, confirmée.
Reprenons les conclusions de l’article. « Des hypothèses sur les influences possibles de facteurs culturels sont en cours : Les résultats du suivi sur 2 ans des patients inclus dans l’étude pilote internationale sur la schizophrénie indiquent que les patients diagnostiqués schizophrènes sur la base d’évaluations normalisées et de critères clairement définis ont démontré sur cette période des variations très marquées du décours et de l’aboutissement de la maladie. Les patients schizophrènes suivis dans les centres de santé des pays en voie de développement ont, en moyenne, un parcours et un résultat nettement meilleurs que les patients schizophrènes dans les centres de santé des pays développés. Une partie des variables concernant le cours et l’issue(de la maladie)était liée à des facteurs prédictifs sociodémographiques (par exemple : l’isolement social et l’état matrimonial) et cliniques (par exemple, le type d’apparition et les facteurs précipitant), mais une autre grande partie(des variables)est demeurée statistiquement inexpliquée (c’est moi qui souligne).
Cela suggère que les variables habituellement utilisées pour décrire la psychopathologie, et les antécédents de patients psychiatriques dans les cultures européennes et nord-américaines ne prennent pas en compte les différences interculturelles. »
Le sens de cette recherche est, à mon humble avis, tout simplement celui-ci : le devenir des patients schizophrènes semble lié au contexte socioculturel dans lequel ils vivent.
C’était à l’époque révolutionnaire (et ce fut reçu comme tel), et – toujours à mon humble avis – cela l’est toujours, parce que cela signifie que la schizophrénie est une « maladie » en relation avec le milieu « humain » (et non physique) dans lequel elle évolue, « milieu humain » à entendre dans toute sa multidimensionnalité, tant individuelle que collective, tant historique que contextuelle.
Pouvons-nous alors poser que la maladie mentale est un « être » multidimensionnel qui n’apparait dans sa compréhension que dans un espace conceptuel multiple ? Et que là où la pluridisciplinarité divise / sépare / distingue, la multidimensionnalité noue et produit ce qu’elle seule révèle ? La maladie mentale est multidimensionnelle parce qu’ainsi l’est notre nature humaine, dont elle est une des expressions.
Michel Dewez
1Breton andré, Char René et Eluard Paul, « Ralentir travaux » S.L. Editions Surréalistes, 1930.
2Cette hypothèse et ses développements firent l’objet du Mémoire présenté en 2003 en vue de l’obtention d’un « Master en Santé Publique » à l’IMT d’Anvers par le Dr Abdoulaye SOW, directeur de FMG.
3La Direction générale Coopération au développement et Aide humanitaire (DGD) défend les différents aspects de la Coopération belge au développement. La DGD relève de la compétence du ministre de la Coopération au Développement.
4« Guide d’intervention mhGAP pour lutter contre les troubles mentaux, neurologiques et liés à l’utilisation de substances psychoactives dans les structures de soins non spécialisées», chapitre « Introduction »,OMS.
5“Cross-cultural differences in the short-term prognosis of schizophrenic psychoses” Norman Sartorius, Assen Jablensky, and Robert Shapiro; Schizophrenia Bulletin (1978) 4 (1) : 102 – 113