Article Pratique traditionnelle

 

Sow. A, « Pratiques traditionnelles en Afrique« , pp.75-88. Revue « Psychanalyse et traditions », N°4, « Le regard et la parole », Edition « L’Harmattan », 2003, Paris

 

Résumé : La reconnaissance de la pratique traditionnelle est mitigée pour un professionnel de la santé qui a appris la médecine dite moderne ou occidentale avec sa physiopathologie, son anatomie, sa pharmacologie…

Mais en existe t-il UNE pratique traditionnelle ? A travers des exemples et constats de ma pratique de médecin généraliste et en tant que fruit de la tradition africaine, je dirais non !

Toute fois, il faut retenir qu’en Afrique subsaharien, parmi les meilleures vertus thérapeutiques, existe aussi le pouvoir du guérisseur.

 

 

Présentation de SOW Abdoulaye au Colloque de psychanalyse : Bruxelles, novembre 2003 organisé par GRAPPAF (Groupe de Recherche et d’Application des concepts psychanalytiques à la psychiatre en Afrique Francophone

 

Il y’a deux semaines nous étions dans cette salle avec des amis d’Afrique, des hommes et des femmes qui ont trouvé en la pratique traditionnelle africaine une valeur. Ils nous avaient parlé de la psychanalyse, de Lacan et de Freud.

 

Aujourd’hui, vous n’entendrez rien de tout ça.

Je vous parlerai des Freud et Lacan d’Afrique traditionnelle. Ces hommes et femmes qui tentent de soulager des milliers de patients qui leurs fréquentent.

Je vous parlerai des guérisseurs qui font des preuves d’efficacité, mais aussi des tradi-praticiens qui profitent de la souffrance des autres pour s’enrichir.

 

A travers des faits vécus, je vais vous parler des guérisseurs en Guinée.

Il y en a plusieurs en Afrique et chaque culture correspond à sa pratique bien que des points communs existent souvent.

 

Je vous demande donc de m’accompagner en Afrique pendant quelques instants.

 

C’était en 1975. J’étais à l’école primaire.

 

Cette année là, je me suis rendu en vacance au village.

Je dis village par ce que c’est de là que je viens et  c’est de là que mes parents vivaient en ce moment.

 

En fait, je suis issu d’une famille d’éleveurs, famille de nomades.

Les nomades  n’ont pas de village fixe. Ils se déplacent de saison en saison à la recherche de pâturage pour leurs troupeaux.

Cette période correspondait aux  grandes vacances du mois de juillet.

Cette année là, mon père est tombé malade. Maladie diraient d’autres, curieuse !

Un soir, mon père est  revenu du pâturage où il avait conduit les animaux (bœufs) avec des violentes céphalées. Il a aussitôt commencé à raconter des choses bizarres, son humeur très exaltée avec un discours de coque à l’âne.

Nous avons pensé que la forêt lui avait révélé quelques choses.

Il nous dit avoir rencontré dans la grande forêt des « djinns.»  Ces djinns disait-il l’avait tapé sur la tête.

 

Dans son discours, il demanda de faire appel à un guérisseur traditionnel  de la contrée. Ce dernier a une réputation d’être doué. On l’a même donné le nom de  » Chasseur des djinns ».

 

Il fallait marché 12 heures à pieds pour arriver dans le village de ce guérisseur.

Une personne rapidement envoyée cette nuit là, revient le lendemain avec le chasseur de djinns. Après quelques heures d’entretien, seul avec mon papa, il  demanda à toute la famille de rentrer dans la case. A notre surprise le papa était devenu calme ou plutôt guéri.

Le guérisseur après un rituel qui lui est propre a demandé à toute la famille de s’excuser auprès du djinn. Le djinn invisible.

Selon le dit du guérisseur, mon papa avait perturbé le sommeil des petits du djinn qui dormaient lorsque il a appelé à haute voix la personne avec qui il était derrière les animaux.

 

Par quoi, le guérisseur est arrivé à calmer le patient aussi rapidement ?

Par la parole?

Quel type de parole avait-il utilisé?,

Avec             qui,             le             guérisseur              communiquait dans                son              rituel?

 

Au cours des mêmes vacances et quelques jours après, arrive le tour de ma sœur.

Ma sœur tomba malade, je dirais aujourd’hui étant médecin, une maladie organique.

C’était une anémie sévère.  Ma sœur était fatiguée, pâle, elle ne mangeait rien.

 

Le guérisseur désormais très populaire dans notre famille  après sa première réussite spectaculaire fut  sollicité de nouveau, pour renouveler son succès.

Cette fois-ci, le « chasseur de djinns » dira clairement qu’il faut envoyer la malade à l’hôpital, car dit-il, elle n’avait pas suffisamment de sang.

 

Il fallait donc se rendre dans une ville où se trouve un grand hôpital.

Comme mes vacances devraient bientôt finir et que je devais retourner à l’école; les parents ont proposé de faire une pierre à deux coups. C’est à dire, me ramener et envoyer ma sœur à l’hôpital.

La  ville proposée est bien sûre, là où j’étudiais.

Cette ville s’appelle Fria et se trouve à peu près à 120 km de notre village.

Pour y arriver, le seul moyen de transport est la marche à pieds. Un chemin plein d’obstacles : deux fleuves et une grande rivière à traverser, deux collines à parcourir, des montagnes à grimper, des forêts à parcourir et des dizaines de villages à traverser.

 

Très tôt le matin, nous quittons le village, ma sœur embarquée sur un hamac.

L’hamac est un instrument très utilisé dans les brousses africaines et constitue le seul moyen de transport en milieu rural enclavé.

Deux jours de marche à pieds, nous voilà arrivé.

Ma sœur devenait de plus en plus fatiguée et pâle.

Dès le lendemain, elle fut transportée à l’hôpital «Pechiney de Fria.». Après deux jours d’examens complémentaires (bilan hématologique et radiologique), elle est hospitalisée pour manque de sang (diagnostic du chasseur de djinns), selon le jargon occidental, une anémie.

Une semaine de traitement avec, j’imagine, des anti-anémiques et des transfusions sanguines, aucune amélioration n’est observée.

 

Coïncidence ou chance ?

 

Dans la famille d’accueil de ma sœur, arrive un guérisseur qui ne s’y était pas rendu depuis une dizaine d’années. Ce guérisseur avait dans le passé soulagé un membre de cette famille. Dans ma langue maternelle, on appelle ce genre de praticien traditionnelle  le « N’douredjo »; en traduction française « une personne douée » ou un « magicien.»

La maladie de ma sœur lui a été expliquée. Avant même de voir la malade, il propose sa sortie de l’hôpital pour qu’elle soit examinée par lui.

Mon papa le prie d’aller voir la malade à l’hôpital. Il  ne l’accepte pas et dira que c’est contraire à sa façon de travailler. Je cite : « je ne peux pas aller voir un patient à hôpital que j’ai l’intention de traiter.»

 

Pour sortir un malade non amélioré de l’hôpital, sans autorisation du service soignant, il faut nécessairement signer une décharge.

C’était une grande responsabilité pour la famille de sortir une malade non guérie de l’hôpital.

 

La famille embarrassée attendra la nuit  pour amener la patiente chez le guérisseur. Après l’avoir parlé et examiné, il propose de se prononcer le lendemain.

Avec son accord, la patiente est aussitôt ramenée à l’hôpital.

 

Le matin, après une nuit de méditation, de travail, de réflexion, le guérisseur informe la famille qu’il est capable de guérir la patiente, mais seulement à domicile.

Il demande donc aux parents de sortir la malade de l’hôpital, donc contre avis médical, c’est à dire l’obligation de signer une décharge.

Mon père hésite, le tuteur de la famille d’accueil s’oppose et ma mère se lamente.

Après des heures de négociation dans la famille et après que le guérisseur ait juré de pouvoir guérir la malade, le consensus est trouvé au sein de la famille.

Ma sœur devait être sortie de l’hôpital et ramenée au domicile de la famille d’accueil.

 

Très rattaché à ma sœur, j’étais toujours auprès d’elle et ai été le premier à l’en informer.

Le matin, mon père s’engage et signe la décharge.

Ma sœur sort de l’hôpital.

 

Arrivée à domicile, le guérisseur réexamine ma sœur  et lui pose des questions. Je ne me rappèle pas des questions posées ni de réponses données. J’avais à peine 12 ans.

 

Le lendemain matin, le guérisseur vient au cheveu de ma sœur « Asmaou SOW ». Elle  a aujourd’hui 44 ans et sera tout à fait d’accord que je cite son nom dans ce cauchemar qu’elle a vécu.

 

Au cheveu de ma sœur, il demande à mon père s’il y a une personne « sage  » dans le coin, une sorte de Karamoko (un maître coranique).

Notre tuteur répond oui et me demande d’aller le chercher. C’est ce que je fis.

 

Lorsque le karamoko arrive, le guérisseur demande ensuite à mon père s’il avait une lame.

Bien sûr qu’il n’en avait pas.

En Afrique, les enfants sont présents à côté des parents pour accomplir toutes les petites commissions.

Je fus envoyé pour acheter une lame.

Une lame de rasoir.

 

A mon retour, le guérisseur demande à tout le monde de s’asseoir.

Je me rappèle de la présence de 8 personnes :

mon père,  ma maman,  ma sœur,  le karamoko,  le tuteur,

le mari de ma sœur qui venait de rentrer d’un voyage,  le guérisseur et  moi même.

 

Le guérisseur explique son approche thérapeutique en ces termes. Je cite « je dois sortir du ventre de votre fille ce qui est entrain de sucer son sang. Elle a ingéré un objet à travers des boulettes de viande il y a deux mois. C’est cet objet qui est entrain de sucer son sang »

 

Si c’était aujourd’hui, j’aurai penser qu’une sangsue à pénétrer dans le ventre de ma sœur. Ce petit vers qui suce le sang des hommes et animaux dans les pays tropicaux.

 

Chacun pensait que le guérisseur  allait faire vomir ma sœur lorsqu’il a demande d’envoyer un bol  avec un peu d’eau.

Mais non !

Il dira ensuite ceci : «je dois fendre ou plutôt si vous voulez, opérer votre fille pour sortir la cause de sa maladie ».

Etonnement de tout ceux qui étaient présents.

Nous nous regardons et personne ne parle.

C’est alors que le guérisseur demande au karamoko, s’il avait le courage d’introduire sa main dans le ventre de la malade pour en retirer ce qu’il va palper.

Un moment d’hésitation  du Karamoko, il finit par se décider en répondant oui !

Le guérisseur lit quelques choses en murmurant, il se frotte les mains et applique les paumes de ses deux mains sur le ventre de ma sœur.

 

Il demande ensuite de le donner la lame de rasoir.

Là aussi tout le monde se regarde mais personne ne parle.

Le visage de ma sœur est dans une frayeur indescriptible.

Qu’elle pourrait être l’état d’âme d’un malade à cet instant précis ?

Seule ma sœur peut nous le décrire.

 

La lame entre les doigts du guérisseur, direction le ventre de ma sœur.

Il prononce « BISMILAI » et enfonce la lame dans le ventre en incisant la peau.

J’ai vu ma sœur fermer ses yeux  au moment de l’acte.

L’acte accompli, le guérisseur demande alors au karamoko d’enfoncer la main et de prendre tout ce qui lui tombe dans les mains.

Le karamoko le fait comme demandé. Il en retire un objet qu’il dépose dans le bol.

 

Il s’agissait de quoi justement?

 

des cheveux, des ongles, des écosses d’arbres teintés de sang.

 

Le karamoko se lave les mains dans le bol avec un peu d’eau que j’avais dans le bouillard.

 

Pendant l’opération, nous n’avons constaté qu’un petit saignement.

Pouvoir du guérisseur ?

Ou bien à cause de l’anémie?

 

Comment un tel objet peut être avalé à partir des boulettes de viandes?,  Est ce que l’objet avait-il grossi dans le ventre de ma sœur ?

Qui avait mis cet objet dans son ventre?

Le guérisseur dira plus tard que, c’est un ennemi de ma sœur qui avait mis ce matériel dans des boulettes de viande et l’avait donné à ma sœur.

Ma sœur se rappellera plus tard avoir mangé des boulettes de viande chez une voisine proche.

 

Le lendemain, ma sœur a commencé à réclamer la nourriture et repris sa santé progressivement et entièrement rétabli après trois semaines de repos.

Elle repartira d’elle même au village sur le même chemin que nous avions emprunté.

 

J’ai classé depuis ce jour parmi les meilleures vertus thérapeutiques, le pouvoir du guérisseur.

 

Cette reconnaissance de la pratique traditionnelle me sera par ailleurs mitigé le jour où j’ai commencé à faire cette médecine dite moderne ou occidentale avec sa physiopathologie, son anatomie, sa pharmacologie…

Je dois dire qu’après 12 ans de travail de médecine générale, je croie encore en la vertu de la pratique traditionnelle.

 

Mais en existe t-il UNE pratique traditionnelle ?

 

A travers des exemples et constats de ma pratique de médecin généraliste et en tant que fruit de la tradition africaine, je dirais non !

 

A travers ces deux précédents récits, d’autres faits vécus et des exemples qui vont  suivre tout à l’instant, vous comprendrez qu’il y a des pratiques traditionnelles

 

Comme vous le savez, certains professionnels de la santé disent que, croire en la médecine traditionnelle, c’est nier la médecine moderne.

 

Je dois avoué que mes 12 ans de pratique de médecine générale me laisse encore dans un dilemme, entre croire en la médecine traditionnelle et respecter les connaissances reçues a la faculté de médecine.

 

Ce que j’ai pus constater depuis que j’ai porté un intérêt à la maladie mentale, la médecine traditionnelle conserve ses vertus que le médecin moderne doit reconnaître et s’en inspirer: C’est la qualité de l’écoute que le tradipraticien détient et l’effet de sa parole sur le patient.

 

Il existe plusieurs types de tradi-praticines.

En Guinée on les appelle :

  • les magiciens (N’douré)
  • les charlatans
  • les karamokos
  • les interprètes de rêves
  • les féticheurs
  • les religieux (p. e les wahhabites)
  • les guérisseurs qui utilisent les plantes médicinales ou la parole
  • les prédicateurs…

 

Je ne parlerai pas ici de toutes ces pratiques mais de quelques exemples vécus:

 

MASONTY ou Réseau des thérapeutes traditionnelles « Equipe de tradipraticiens »

 

Moribayah est un village situé à 100 km de Conakry à la limite de la préfecture de Forecariah et de coyah. Ce village fondé par une famille, a une histoire que je ne maîtrise pas bien.

 

Comprenez seulement que ce village est fondé, il y a plus d’un siècle  par une famille dont le chef était détenteur d’un ESPRIT du nom de masonty. Cet esprit dit-on, protégeait la famille dans un premier temps contre les mauvais esprits (sorciers, féticheurs, charlatans) lors des grandes cérémonies auxquelles l’un des membres de la famille était censé  participer.

De père en fils, puis de frère en frère, cet ESPRIT a connu des mutations dans son histoire et dans ses fonctions.

 

Il y a, a peu près une dizaine d’années, le détenteur actuel de l’ESPRIT a organisé une grande cérémonie rituelle au cours de laquelle me dira-il, ont été égorgés des bœufs, moutons pour préparer des repas et faire des prières.

Après cette cérémonie glorieuse, MASONTY qui était endormi depuis plusieurs années, s’est révélé au doyen de la famille comme « esprit de bien faisances » c’est à dire capable de  diagnostiquer les maladies, traiter les malades, aider ceux qui souffrent de la maladie de l’esprit, approcher les guérisseurs et constituer un réseau des thérapeutes composé de praticiens de la médecine moderne et traditionnelle.

C’était la nouvelle mission de MASONTY.

 

Au mois de septembre passé, j’ai décidé avec mon équipe, d’effectuer une mission de reconnaissance de ce lieu, de ce peuple, de cette pratique mais aussi de prendre contact avec MASONTY.

 

Nous étions à 3 km du village au bord d’un 4X4, lorsque nous avons rencontré un vieux d’une soixantaine d’années qui devait se rendre dans le village de MASONTY.

J’ai demandé au chauffeur de s’arrêter.

Nous saluons le vieux poliment et lui demandons où il partait ?

Il partait réellement dans le village de Masonty.

Je l’invite à venir avec nous dans le véhicule.

Il nous remercie d’abord de l’avoir salué et surtout d’avoir eu la politesse de le prendre avec nous.

Nous étions au départ 4 dans le véhicule, le chauffeur, notre guide qui a travaillé dans les environs du village il y a quelques années comme instituteur, le médecin chef de l’un de nos centres de santé  et moi-même.

Sur le chemin du Village, je me présente au vieux et lui demande s’il connaît MASONTY. Sans tarder, il me répond en bon musulman, c’est un esprit (ce genre d’esprit est répugné par le coran.) Il continu  » je vous avoue que mon statut de muezzin ne me permet pas de croire à ce genre d’histoire  mais Masonty fait des choses étonnantes, il traite les malades, il démasque les malfaiteurs, il désigne les sorciers et soulagent ceux qui ont des problèmes sociaux »

 

Nous lui expliquons l’objectif de notre mission. Le vieux très sympathique nous oriente chez ELHADJ LANSANA SOUMAH, nom du doyen du village et détenteur officiel de l’esprit Masonty.

On l’appèle ELHADJ, par ce qu’il a fait son pèlerinage à la Mecque

 

Après les salutations d’usage. Notre guide nous introduit en ces termes  « ELHADJ, ces personnes m’ont trouvé sur le chemin de votre village et ont eu la gentillesse de me prendre avec eux. Ils sont là pour prendre contact avec vous et solliciter votre collaboration ».

 

Je salue alors le doyen en bon « soussou ».

 

Le soussou est la langue de la littorale guinéenne où se trouve les préfectures de Forecariah, coyah….

 

J’explique l’objectif de notre visite en ces termes : « Elhadj, nous sommes médecins,  nous nous intéressons aussi au traitement des malades mentaux. Nous avons des réussites dans nos traitements, mais aussi des échecs pour une certaine catégorie de patients. Parfois nous n’arrivons même pas à poser un diagnostic. Il y’a quelques mois, nous avons été informés que dans votre village vous contribuez aussi à la santé de nos populations à travers un réseau de soins. Nous sommes là pour vivre nous mêmes les faits  et essayer de nous inscrire dans cette dynamique ».

 

Elhadj, en bon sage africain nous remercie et nous félicite de notre courage et répond. Je cite « vous êtes médecins, vous avez des connaissances que MASONTY n’a pas. MASONTY  n’est pas capable de traiter tous ses clients à travers son réseau de tradipraticiens. Si vous êtes venus pour que nous nous complétions, soyez les bienvenus. Mais si vous êtes là pour vérifier les « choses »Masonty vous le dira aussi ».

 

Elhadj Lansana envoie un enfant appeler un membre de l’équipe MASONTY, un des héritiers de l’esprit. Nous attendons pendant une dizaine de minutes avant que n’arrive un monsieur d’une quarantaine d’années auquel le vieux nous confia après les présentations et l’exposé des motifs de notre présence. Le monsieur nous invite à aller expliquer l’objet de notre mission à le « vieille ».

 

La vieille, c’est MASONTY.

C’est comme ça, qu’on l’appelle dans le village.

Nous nous dirigeons doucement vers la grande maison où toute l’équipe MASONTY est installée (à 100 mètres de la maison du doyen).

 

Il s’agit d’une grande maison construite depuis le temps colonial. Elle a 8 chambres, un grand couloir dans lequel sont placés des bancs qui accueillent les clients.

Je les appèle ainsi, car ils n’étaient pas tous des malades.

Certains étaient venus pour retrouver un objet volé

 

D’autres étaient là pour savoir la cause de leur maladie

 

Cinq patients étaient venus pour avoir des médicaments

 

Une veuve était assise à côté de moi. Elle était là, pour savoir qui est l’auteur du décès de son mari. Un sorcier?

 

Une mère était là pour savoir pourquoi son fils qui se trouve en Europe ne le donne plus de ses nouvelles

 

Un grand cadre (intellectuel) était là pour avoir des sacrifices pour préserver son poste de responsabilité

 

Et en fin, mon équipe et moi étions là pour avoir des informations et nouer des relations avec

MASONTY

 

Le médecin qui m’accompagnait était assis à côté de moi, tout juste devant la porte de la chambre de Masonty. Cette position nous a permis d’écouter, la quasi totalité des motifs de consultation des différents clients.

Bien que nous étions des privilégiés c’est-à-dire, recommandés par le doyen, nous avons attendu notre tour (2 heures d’attentes).

Un moment d’émotion pour moi mais aussi une période d’attention sur le mouvement des clients et de l’équipe Masonty dans le couloir.

 

En fait toutes les chambres de la maison font face au couloir.

Dans trois des huit chambres, il y a des guérisseurs  avec des infusions de feuilles et décoctions, des talissements,  des feuilles séchées, des racines d’arbres…

 

A chaque fois qu’un client sortait de la chambre de Masonty, s’il devait être traité sur place était automatiquement orienté dans l’une des trois chambres et en sortait avec une bouteille ou un sachet de feuilles après avoir versé une somme d’argent au guérisseur bénéficiaire. Au cas échéant, le client est orienté chez un tradithérapeute du village, ou de la région ou dans un hôpital après avoir versé une somme d’argent au guérisseur bénéficiaire.

J’ai vu une fois un malade versé 20 000 FG (10 euros).

Notre tour arrive, nous rentrons dans la chambre et trouvons 5 personnes

  • une première qui interroge MASONTY et interprète ses recommandations
  • deux observateurs qui aident l’interprète à reformuler les questions ou à interpréter dans la langue du client
  • deux personnes qui portent la vieille et qui font parti de l’esprit MASONTY.

 

Qui est Masonty ? Ou plutôt c’est quoi MASONTY?

 

Partant de ce que j’ai vu: il s’agit de deux jeune hommes habillés en tout blanc. Su  leur tricot, est inscrit en français et en couleur rouge »MASONTY ».

Ils portent deux bois sous forme de pilons sur leurs épaules.

 

Au milieu des pilons, se trouve un objet qui y est attaché, couverte de tissu blanc surmonté au milieu.

Tout le rituel de MASONTY s’effectue entre les deux planches.

Les deux jeune hommes qui ont la même taille sont en perpétuel mouvement.

 

Il est difficile de savoir si c’est l’objet qui inflige le mouvement aux deux jeune hommes ou bien le contraire?

 

Selon les explications et les séquences du mouvement, c’est l’objet qui inflige le mouvement sur les jeune hommes. C’est cet objet qui est appelé dans le village « la VIELLE » ou MASONTY.

 

Lorsque nous étions dehors, sur le banc et devant la porte, je pensais que Masonty était un être humain car j’entendais l’interprète dire «  oui la vielle, oui la vielle, vieille, je ne comprends pas vieille, explique mieux vielle… ».

Nous voila donc dans la chambre de la vielle, l’interprète nous souhaite la bienvenue et nous présente à Masonty.

A mon tour de dire à la vielle l’objectif de notre présence. Je reprends tout ce que j’avais expliqué au doyen.

 

La réponse de la vielle s’exprime par les mouvements que l’objet inflige aux deux jeunes qui le portent. Chaque geste est traduit par l’interprète.

C’est un moment difficile à expliquer car les gestes des deux jeune hommes sont intenses.

Les deux bois les serrent…, une vraie lutte.

Pendant le rituel, l’interprète explique ce que les gestes signifient.

 

Voici ce que la vielle répond à mon exposé

«Ces étrangers disent qu’ils sont des docteurs,

Qu’ils sont venus prendre contact avec nous,

Ils traitent les malades ainsi que les fous mais ils ne sont pas en mesure de traiter tous leurs patients, Ils veulent que nous nous donnions les mains pour aider notre population.

Dites leurs qu’ils sont les bien venus,

Qu’ils sachent qu’il y a un certain nombre de malades et de maladies qui ne relèvent pas d’eux  Qu’il y’a certaines interventions chirurgicales qui ne méritent pas d’être faites, certains malades n’ont pas besoin de piqûre,

Il suffit pour certains de recevoir ma parole, d’autres pour se laver le corps ou faire un sacrifice,  Ou demander un pardon pour les voire se séparer de leur mal.

Je suis d’accord de collaborer avec eux.

S’ils sont venus pour ça, je suis d’accord pour qu’ils m’envoient des patients,  Je leur dirai si c’est eux ou moi qui dois traiter le patient.

Je n’y manquerais pas de mon côté de les envoyer des patients qui relèvent d’eux.

La seule difficulté est la communication.

S’il y’avait un téléphone on pouvait mieux communiquer et instaurer un dialogue rapide.

D’ailleurs donnez-moi votre adresse ».

 

Je sors de la chambre pour écrire l’adresse sur un bout de papier.

 

Au retour, je donne sagement, au revoir à la vieille.

Lorsque j’ai voulu sortir, j’ai vu les deux bonhommes transpirer et se tordre de douleur.  L’interprète m’informes que la vieille demande à ce que j’attende pour recevoir sa bénédiction. C’est ce que je fus.

 

La vieille me bénit en ces termes :

« Mon enfant que Dieu t’aide pour que tu puisses aider les personnes qui souffrent,

Que tes enfants connaissent le bonheur,  Que le retour dans ta famille soit agréable…. ».

Elle termine par cette phrase :

« Nous les traitants, nos récompenses se trouvent dans les mains de Dieu ».

 

Après cette consultation, nous retournons chez le doyen pour dire au revoir et le remercier de son hospitalité.

 

Le doyen répètera les mêmes bénédictions que Masonty.

 

Sur le chemin de retour, avant de quitter le village, un calme olympien régnait dans le véhicule.

 

Le médecin, le guide de la mission et moi-même qui se trouvaient dans la chambre de Masonty étions impressionnés.

 

J’étais impressionné de savoir qu’il existait tout près de Conakry une telle dynamique qui méritait d’être vécu.

 

J’ai été impressionné par le système d’organisation de l’équipe Masonty:

Un service d’accueil,

Un secrétariat,

Un bureau de consultation avec cinq professionnels et l’esprit Masonty,

Un groupe de guérisseur de proximité,

Un réseau de thérapeute dans le village,

Une extension de ce réseau à toute la basse Guinée

Et une procédure de référence vers les structures de médecine moderne.

 

Certaines questions me restent encore sans réponses:

 

Je me suis demandé, qu’est ce que ces deux jeune hommes qui portent Masonty représentaient ? Il semble qu’il s’agit des êtres purs. Ils ne se marient pas, ne font pas d’adultères, ils sont sages et respectés de tout le village.

 

Pourquoi dans un village aussi religieux avec une grande mosquée et une population entièrement musulmane, cette pratique était-elle populaire ?

 

Comment cet esprit se transmet d’une génération à une autre ?

 

Comment Masonty  arrive à faire des mutations d’une génération à une autre ?

 

Entre les deux jeun hommes qui portent  Masonty et les deux bois, qui commandent l’autre ?

 

Quelle est la méthode d’interprétation des gestes de Masonty par l’interprète ?

 

Pourquoi Masonty est elle appelé VIEILLE ?

 

Les biens générés par les consultations de Masonty sont utilisés comment ?

 

L’esprit Masonty demeurera t-il ?

 

Voila autant de questions que je me pose et pour lesquelles je vous invite à réfléchir pour se construire une idée du contenu de cette boite noire  qu’est MASONTY mais aussi pour tirer des éléments qui peuvent alimenter votre pensée et  peut être vous aider dans votre pratique professionnelle.

 

Avant de terminer, je voudrais vous parler aussi d’une pratique récente dans notre pays.

 

En faite dans nos consultations, nous recevons des patients qui ont séjourné chez les tradipraticiens avant de venir au centre de santé.

Il existe en Guinée depuis une dizaine d’années la propagation d’un adepte des musulmans « les wahhabites ».

 

Leur raisonnement  pour expliquer la « folie » est basé sur le fait que c’est  Satan qui est la cause des  maladies mentales. Pour être guéri, il faut s’en débarrasser.

 

Pour chasser Satan, ils conseillent aux patients l’écoute.

Quelle écoute ?

 

Je dirais, ils prescrivent une ordonnance de 20 K7 de recueilles de versets coraniques.

Cette écoute consiste à priver le patient de  certains plaisirs, dont la télévision, la musique, la lecture des livres d’ANASSARA « livres des blancs », la danse…

 

Les patients sont donc isolés dans une chambre pour écouter pendant une ou deux semaines les 20 cassettes d’extraits d’enregistrements des versets du coran et certaines incantations religieuses.

 

Selon eux après cette écoute, le patient sera débarrassé  de Satan, cause de son problème.

 

Pour les patients qui se reprochent d’avoir commis un péché genre adultère, malédiction par les parents, non-respect à certains principes de la tradition, le traitement arrive parfois à diminuer leur angoisse mais pour la plus part des patients dont les psychotiques et les retardés mentaux que nous recevons, le tableau s’aggrave.

 

Ce sont là quelques exemples que j’ai vécu et que je voulais partager espérant que vous en tirerez bénéfice.

 

Pour terminer, je vous invite tous à visiter nos villages, nos vieux, nos guérisseurs, nos guéris et nos malades.

 

Merci

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