Enquête sur les obstacles liés au contexte socio-anthropologique et à la disponibilité des médicaments

L’essentiel de l’information scientifique et médicale www.jle.com
Le sommaire de ce numéro
http://www.john-libbey-eurotext.fr/fr/ revues/medecine/epi/sommair e.md?type= text.html

Montrouge, le 17/03/2008
A. Sow
Vous trouverez ci-après le tiré à part de votre article en format électronique  :

Accès aux soins des épileptiques en Guinée : enquête sur les obstacles liés au contexte socio-anthropologique et à la disponibilité des médicaments
paru dans
Epilepsies, 2007, Volume 20, Numéro 1
John Libbey Eurotext
Ce tiré à part numérique vous est délivré pour votre propre usage et ne peut être transmis à des tiers qu’à des fins de recherches personnelles ou scientifiques. En aucun cas, il ne doit faire l’objet d’une distribution ou d’une utilisation promotionnelle, commerciale ou publicitaire. Tous droits de reproduction, d’adaptation, de traduction et de diffusion réservés pour tous pays.
© John Libbey Eurotext, 2007

E´pilepsies 2008 ; 20 (1) : 38-44
Accès aux soins des épileptiques en Guinée : enquête sur les obstacles liés au contexte socio-anthropologique et à la disponibilité des médicaments
Abdoulaye Sow
Médecin directeur de Fraternité médicale Guinée, 030 BP34 Conakry, Guinée <drsowab@yahoo.fr>
Cet article est tiré du rapport (Sow, 2006) de recherche-action d’un projet soutenu par la Ligue Française Contre l’Épilepsie dans le cadre de la « Bourse Francophone d’Étude, de Recherche et d’Action en Épileptologie pour les Pays du Sud », session 2004, intitulé « Comment s’y prendre pour améliorer la qualité de vie des épileptiques en Afrique ? Expérience d’une ONG médicale en Guinée, Conakry ».

Résumé.
Connue depuis l’Antiquité, l’épilepsie reste un sujet de controverse dans les milieux populaires dans le
monde entier. En Afrique et plus particulièrement en Guinée, les difficultés d’accès aux soins pour les malades épileptiques sont nombreuses. Aux tabous qui entourent la maladie, s’ajoutent les difficultés d’accès aux médicaments, la méconnaissance de la maladie aussi bien par les professionnels de la santé que par la population générale et la faible implication des autorités en charge de ce problème spécifique de santé. Pour mieux appréhender les obstacles à l’accès aux soins des épileptiques dans notre pays, nous avons réalisé une étude auprès de 320 personnes composées de professionnels de la santé, de malades épileptiques et de leurs familles, de la population générale et de notables (personnes dont la notoriété est reconnue dans notre société grâce à leur savoir, leur savoir faire et leur savoir être) à travers des interviews individuelles semi-structurées et des groupes de discussion. En plus des faibles moyens diagnostiques et thérapeutiques connus en Guinée, l’étude a décelé des obstacles à lever afin d’apporter des soins meilleurs aux épileptiques qui nécessiteront la collaboration des professionnels de santé, des guérisseurs, et de la population.
Mots clés : épilepsie, accès aux soins, Afrique, anthropologie, antiépileptique, stigmatisation, agent de santé

Abstract.
Access of patients with epilepsy to medical care in Guinea : enquiry on obstacles linked to the social
and anthropological context and to availability of drugs
Epilepsy is a disease known since antiquity which has remained a subject of controversy in popular culture all over the world. In Africa, particularly in Guinea, the obstacles impairing access to medical care of patients with epilepsy are

Tirés à part :
A. Sow
numerous : taboos which surround the disease are still current. Weak implication of health agents and difficulties of access to drugs are added impairments. In order to better understand the obstacles to care in our country, we ran a survey of 320 persons (health professionals, epileptic patients and their families, general population and social leaderus) through structured semi-individual interviews and focus group. The study shows that in addition to the limited resources for diagnosis and treatment found in Guinea, there are relatively vulnerable obstacles which require the implication of general practitioners, of paramedics and of the public at large, in order to produce better conditions for patients with epilepsy.
Key words: epilepsy, access to care, Africa, anthropology, antiepileptic drugs, stigmatization, training of health professionals

L’épilepsie est la maladie neurologique la plus fréquente. Hippocrate voyait en elle, non pas une maladie sacrée, mais un dérèglement cérébral, lui donnant ainsi une explication moins spiritualisée. C’est pourquoi, on ne parle plus aujourd’hui d’épilepsie mais des épilepsies.
Elle touche plus de 50 millions de personnes dans le monde, dont 10 millions en Afrique. Les régions tropicales hébergent plus de 80 % des épileptiques dans le monde (Preux et DruetCabanac, 2005).
Depuis plusieurs années, la communauté internationale s’investit sur tous les fronts pour sortir l’épilepsie de l’ombre. Ainsi, des progrès considérables sont réalisés dans le diagnostic, le traitement et la réinsertion des épileptiques. Malheureusement, la plupart des pays en développement sont en marge de cette évolution.
En effet, si dans les pays développés, les professionnels de la santé soutenus par les associations de patients et les pouvoirs publics se préoccupent des moyens sophistiqués de diagnostic et des molécules de dernière génération pour le traitement de l’épilepsie, l’Afrique en général et la Guinée en particulier sont confrontées à plusieurs obstacles qui limitent l’accès des épileptiques aux soins les plus élémentaires.
Malgré les progrès réalisés dans le traitement médical de l’épilepsie durant ces 20 dernières années, l’Afrique n’a pas encorepuentirerprofit.L’incidencevariede64à156nouveaux cas pour 100 000 habitants l’an, contre 40 à 70 pour 100 000 habitants l’an dans les pays industrialisés (Preux et DruetCabanac, 2005). La médiane des prévalences s’établit à 15 ‰ (Arborio et al., 1999), c’est-à-dire 3 fois plus que dans les régions tempérées. Au Mali, cette prévalence est estimée à 15,6‰ (Farnarier et al., 2000), 74 ‰ en Côte d’Ivoire (Preux, 2000) et 5,2 ‰ en Éthiopie (Tekle-Haimanot etal., 1990). Dans un projet d’intégration de la santé mentale dans les services de santé de base auquel certaines pathologies neurologiques ont été amalgamées, l’épilepsie occupe 18 % (deuxième place) de la fréquentation après les psychoses (Sow, 2003).
Pour des raisons économiques et sociales, trois épileptiques sur quatre dans les pays en développement ne sont pas traités. Selon l’OMS (Preux et Druet-Cabanac, 2005 ; Meinardi et al., 2001), jusqu’à 80 % des épileptiques sont privés de soins en Afrique parce que l’opinion est mal informée sur la maladie.
D’autre part, le sous-équipement médical est courant dans beaucoup de pays africains. Ainsi, en Guinée, il n’existe pour tout le pays, qu’un seul service de neurologie, aucun EEG n’est disponible dans les structures publiques ; le nombre de spécialistes est très limité, moins de 10 neurologues, neurochirurgiens et psychiatres pour 8 millions d’habitants.
Une autre composante fondamentale à prendre en compte pour l’accès aux soins des épileptiques est la complexité du contexte socio-culturel, notamment liée à la diversité de sa population. En effet, en Guinée, les quelque huit millions d’habitants sont répartis en près d’une trentaine d’ethnies parlant chacune une langue, et chaque groupe ethnique donne sa propre interprétation de la maladie même si des similitudes existent par endroits.
Cette population est répartie dans les 4 régions naturelles que compose le pays avec les proportions suivantes (recensement officiel basé sur le groupement ethnique, 1995) : Peuls (32 %), Maninkas (23 %), Soussous (10 %), Guerzés (3,8 %) Kissis (3,5 %), Tomas (1,8 %), Dialonkés (1,8 %). L’appartenance à une ethnie se révèle d’autant plus complexe qu’il existe de nombreux « regroupements » (mixages) dont il faut tenir compte. On distingue les « assimilés » (par exemple les Bagas et les Landoumans par rapport aux Soussous), les « apparentés » (par exemple les Toucouleurs et les Peuls) et les sous-groupes (par exemple les Kourankos, les Leles, etc., par rapport aux Malinkés). On en arrive alors à des proportions différentes. Formant de 30-35 % de la population, les Malinkés (Maninkas) et les « assimilés » constitueraient le groupe le plus important ; ils seraient suivis de près par les Peuls et les Toucouleurs avec 30 % ; viendraient ensuite les Soussous et « assimilés », puis les « forestiers » (ceux qui vivent dans la Guinée forestière).
Les principaux groupes ethniques se répartissent dans les différentes régions géographiques de la Guinée. La Guinée maritime abrite près de 75 % des Soussous, mais on y trouve aussi presque toutes les ethnies du pays, en raison de la présence de la capitale, Conakry, qui attire les habitants. Dans la région du Fouta-Djalon ou Moyenne Guinée, on trouve 80 % de Peuls et 14 % de Malinkés ; ces derniers sont plus nombreux en Haute Guinée (45 % d’entre eux). Quant à la Guinée forestière, elle abrite surtout des Malinkés (35 % d’entre eux), mais aussi les Kissiens, les Tomas, les Guerzés, etc. Les Guinéens utilisent essentiellement des langues nigéro-congolaises. Au point de vue religion, les musulmans sont nettement les plus nombreux en Guinée, avec près de 85 % d’adeptes. On compte 5 % de Guinéens adeptes des religions traditionnelles animistes et 4 % de chrétiens (dont 3 % de catholiques et 1 % de protestants évangéliques).
Méthodologie et population
L’étude a porté sur 320 sujets repartis comme suit :
– 100 professionnels de santé composés de médecins et de paramédicaux (infirmiers, agents techniques de santé, techniciens de laboratoire, sages-femmes) tous issus du secteur de soins de santé primaires (porte d’entrée du malade dans le
système de santé guinéen),
– 100 personnes issues de la population générale,
– 60 épileptiques,
– 50 familles d’épileptiques,
– 10 notables (6 guérisseurs, 2 historiens et 2 griots).
Les informations récoltées auprès de ces sujets lors des interviews individuelles ont été complétées par celles recueillies lors de 5 groupes de discussion, qui ont regroupé chacun 8 à 12 personnes issues des familles d’épileptiques (2 groupes) ou de la population générale (1 groupe) ou des épileptiques (2 groupes).
Pour collecter les informations (voir en Annexe A), une fiche d’interview individuelle semi-structurée a été administrée aux professionnels de la santé, aux patients, aux familles et aux autres enquêtés de la population générale ; tandis qu’un guide d’entretien a été utilisé lors des groupes et, en individuel pour les griots, guérisseurs et historiens. Les réponses recueillies ont été analysées par catégories de personnes rencontrées.
Résultats
A l’analyse des fiches d’interview et d’entretien, les obstacles à l’accès aux soins des épileptiques observés se situent à 4 niveaux.
Les considérations socioculturelles de l’épilepsie
Les appellations et les interprétations populaires recueillies confirment le poids de la tradition et montrent qu’elles sont fonction des groupes ethniques qui composent la Guinée. Tous rapportent la maladie aux diables, sorciers, interdits et aux mauvais sorts.
Chez les Peuls, l’épilepsie est appelée : Djina Wakè « diable méchant, diable de la malédiction » Djina « Diables », Fadhègöl « faire des crises », Tikka Sunnito « convulser et se brûler », Wakè « méchant, malédiction », Sunna Takito « se brûler et faire des excréments ».
Pour cette ethnie, l’épileptique est assimilé à un esprit méchant, c’est-à-dire à une personne à éviter. Il est fréquent d’entendre cette ethnie dire que, n’est épileptique que celui qui a des cicatrices de brûlures ou de blessures. Les risques sont élevés pour qu’un patient se mette en danger afin que les stigmates de son diagnostic lui soient reconnus.
Pour les Peuls, l’épilepsie :
– s’observe chez les personnes nées d’une femme qui, au cours de sa grossesse ramassait des objets dans des lieux comme le marigot, la rivière, le bord de la mer, etc.,
– survient chez les personnes dont les mamans se lavent au crépuscule au marigot durant leur grossesse, – est une maladie de la sorcellerie ou d’un oiseau nocturne appelé en peulh « Mamadabi »,
– est la conséquence de certains comportements des parents. Par exemple, quand un mari revient d’un enterrement sans se laver les mains et a un rapport sexuel, l’enfant qui en naîtra sera automatiquement épileptique,
– vient d’un vent « tourbillon » envoyé par un diable, – ne s’observe que chez les enfants nés de parents qui, lors des cérémonies de funérailles, mangent la viande d’un animal immolé pour la circonstance,
– est l’effet de la consommation de viande d’un animal mordu par un chien,
– n’atteint que les enfants issus d’une liaison entre une femme et son beau-frère.
Chez les Soussous, l’épilepsie est appelée : Nyinnè Furé « maladie du diable », Koretai furé « malade du ciel », Khounmagirigirimassa « trembler la tête », birafuré « maladie qui fait tomber », khounmagiriri « tourner la tête ».
Les Soussous considèrent l’épilepsie comme une maladie naturelle due à la consommation de viande d’un animal mordu par un chien ou liée aux trucages ou au mauvais sort. Ils rapportent également l’épilepsie à la consommation d’une nourriture sur laquelle une araignée ou un cancrelat a déféqué.
Chez les Mandingues, l’épilepsie est appelée : Kirikiri massa « maladie du Roi », Djinna diankaro « maladie du diable », kirikiri mansa « grimace du roi », Gnalanini djankaro, kikigna, koudouba.
Selon ce groupe ethnique, l’épilepsie est la conséquence du non-respect des lois coraniques, des diables, du tourbillon, de l’empoisonnement, de la sorcellerie ou de la salive d’un épileptique.
En région mandingue, certains groupes ethniques assimilés aux malinkés interprètent l’épilepsie comme la « maladie du roi ». Selon cette tradition, c’est une maladie que n’attrape qu’un roi ou celui qui va le devenir. Un enfant qui présente les signes de l’épilepsie est habituellement surprotégé.
Chez les Guérzés et les groupes ethniques de la Guinée forestière (Konos, Kissis, Tomas…) : Wheli Wheli « maladie des crises à répétition », wely wely gnön, Kula gnön « Personne qui fait des crises » nawoweyol, wowo, holi holi, holou holou, trermblengno « maladie qui fait trembler », fèfè.
Pour eux, ce sont des diables et des sorciers qui provoquent la maladie. Ils expliquent également la maladie par la conséquence d’un mauvais comportement de la femme envers son mari.
Les Konos disent par exemple que l’épilepsie est une maladie des enfants issus des parents qui marchent la nuit, etc.
Concernant le traitement de l’épilepsie, les moyens et les méthodes proposés par chaque ethnie nous interpellent, comme le montre le tableau ci-dessous.
Le niveau de connaissance sur la maladie
Bien qu’elle date de l’Antiquité, l’épilepsie reste méconnue par une frange de la population guinéenne quelle que soit la catégorie sociale.
Dans le groupe des professionnels de la santé, 10 % des personnes interrogées (exclusivement des paramédicaux) n’ont jamais entendu parler de l’épilepsie quelle que soit sa forme. Vingt et un pour cent rapportent les causes de l’épilepsie aux phénomènes traditionnels (11 % des médecins et 10 % des paramédicaux). Parmi ceux qui ont répondu sur le traitement, 32 %, ne savent pas comment traiter l’épilepsie et 17 % (14/81) qui disent connaître le traitement, citent les médicaments traditionnels et quelques antiépileptiques modernes. Quand on demande au personnel de santé de citer les antiépileptiques, la carbamazépinen’estcitéeque15foisetlephénobarbital17fois. Parmi les médicaments cités pour le traitement de l’épilepsie, il y a aussi ceux qui n’ont rien à voir avec le traitement de la maladie. Il s’agit des neuroleptiques (haldol, chlorpromazine) des correcteurs (Artane®) et de certains anxiolytiques (Tranxène®).
Ethnies La façon de traiter l’épilepsie
Peul – Egorger un caneton et faire inhaler le sang à l’épileptique pendant sa crise (quand il est inconscient).
– Ecrire les versets du Coran suivants : Ayatal Koursii (sourate baghara ou la vache, versets 250-255) et lagad djahakoum (sourate tawbatti, versets 127-128) mélangé avec de l’ail. Il semble que les diables n’aiment pas l’ail et n’osent pas l’écrit des deux versets.
– Egorger un oiseau qui s’appelle en poular « Keletal », prendre son sang et badigeonner l’épileptique avec, ou bien prendre sa viande, la sécher, la piler et mettre la poudre sur les repas de l’épileptique.
– Faire une amulette avec la terre d’une termitière, le bourgeon d’un arbre « le néré », ou l’abri du chimpanzé et l’accrocher au cou de l’épileptique.
Malinké – Préparer un repas avec la chair du caméléon mélangée à des écorces d’arbres et la faire manger à l’épileptique. – Prendre la peau du singe et couvrir l’épileptique pendant son sommeil. Quand il le constatera au réveil, il va sursauter et rejeter la peau. La façon dont la peau sera propulsée, est similaire à la manière dont l’épileptique va se débarrasser de la maladie.
– Après une crise d’épilepsie, faire contempler au patient le soleil pendant des heures, la crise ne reviendra plus. – Ecrire tous les noms de Dieu qui existent dans le Coran et faire boire l’épileptique.
Soussou – Dans une tombe fraîchement creusée à l’occasion d’un décès, faire coucher l’épileptique et le laisser y dormir. A son réveil, le sortir de la tombe et enterrer le cadavre ; la maladie s’en ira pour toujours.
– Faire inhaler à l’épileptique la fumée de la cigarette ou l’essence du citron.
– Couvrir l’épileptique avec de la toile d’araignée. – Faire des cantiques des catholiques.
Guerzé, Kissi, – Les charlatans ont un pouvoir de chasser les causes de l’épilepsie par un cocktail de feuilles et d’écorces qu’ils font
Toma boire aux épileptiques.
Dans la population générale, 39 % des personnes rencontrées ne connaissent pas la maladie. Parmi les 61 % qui la connaissent, 30 % l’attribuent aux diables, 41 % aux interdits, 10 % aux sorciers et 19 % aux causes diverses (traumatismes, hérédité, démon, tourbillon…) Dans la population générale, 28 % des personnes disent que l’épilepsie ne guérit jamais.
Pour les patients, 46,6 % (28/60) rapportent les causes de l’épilepsie aux phénomènes traditionnels. Parmi eux, 31,6 % évoquent les diables et 6,6 % les interdits.
Pour les familles, la quasi-totalité des parents 94 % (47/50) attribuent les causes de l’épilepsie aux phénomènes traditionnels soit 36 % (18/50) aux diables et 58 % (29/50) l’expliquent par les interdits. Seules deux personnes parlent de l’hérédité et une personne l’explique par une cause organique.
L’accessibilité aux médicaments
En Guinée, l’accès aux médicaments est une contrainte majeure dans la prise en charge des épileptiques non seulement à cause du coût, mais aussi de la disponibilité.
Parmi les 4 principales molécules génériques antiépileptiques (phénobarbital, phénytoïne, valproate de sodium et carbamazépine) qui existent sur le marché, aucune d’entre elle n’est disponible à la Pharmacie Centrale de Guinée, seule structure publique autorisée à importer les génériques. A ce jour, notre ONG « Fraternité Médicale Guinée », est la seule structure qui fait de la prise en charge de proximité à l’échelle communautaire de l’épilepsie. Elle a répertorié dans ses 4 centres de santé, 989 épileptiques, parmi lesquels nous en avons perdu de vue près de 27 % du fait de l’indisponibilité des médicaments et surtout des ruptures intempestives.
Par exemple, en raison de l’indisponibilité de phénobarbital, 92 % de nos épileptiques sont soumis à la carbamazépine 200 mg, 5 % au valproate de sodium 200 mg et seuls 3 % au phénobarbital (Gardénal®) sous forme de spécialité dont le prix est hors de portée des patients. Fraternité Médicale Guinée dispose d’une filière d’approvisionnement de la carbamazépine à partir de Bruxelles grâce à l’appui d’une maison médicale.
La stigmatisation de la maladie et le rejet des malades
Vu les manifestations spectaculaires de la forme généralisée motrice de l’épilepsie et les considérations socioculturelles qui l’entourent, l’épileptique est rejeté en Guinée aussi bien par sa famille que par son entourage de façon visible ou discrète.
Plus de vingt-huit pour cent (28,3 %) des patients (17/60) disent que leurs propres parents (frère, sœur, père et mère) refusent de partager leurs repas avec eux. Selon ces patients, 35 % (21/60) des parents disent avoir peur d’eux et dramatisent leur maladie. Plus de trente quatre pour cent (13/38) des patients, rapportent que les voisins ne portent aucune attention sur eux quand ils font des crises ou ont besoin d’eux.
Dans la population générale, parmi les 100 personnes interviewées, 42 % ne souhaitent pas se marier avec un épileptique, 5 % n’ont pas d’avis précis ; 24 % n’acceptent pas de partager le repas avec un épileptique et, 14 % n’ont pas d’opinion précise sur cette question. Quand on demande les raisons qui les amènent à ne pas se marier avec un épileptique, 46,8 % des personnes ayant répondu évoquent la contagiosité de la maladie, 53,2 % invoquent des raisons diverses (3 personnes évoquent le manque d’hygiène des épileptiques pendant la crise, 4 personnes traitent les épileptiques d’insupportables et 2 personnes disent que les épileptiques sont possédés par les diables de façon permanente ; 11 personnes disent que l’épilepsie est héréditaire et ont peur pour leur progéniture.) Pour le partage du repas, 78,8 % (26/33) des répondants évoquent la contagiosité, tandis que 15 % (5/33) évoquent l’état de l’épileptique pendant la crise (agitation, état mental défaillant…)
Pour les professionnels de la santé, sur les 81 personnes à qui il a été demandé si elles accepteraient ou non de se marier avec un épileptique, 49 % (40/81) répondent par la négative (soit 6 médecins et 34 paramédicaux) et évoquent les raisons suivantes : les épileptiques sont haïs par la société (4 personnes), la crise épileptique est lourde pour un couple (2 personnes), 13 personnes dont 12 paramédicaux évoquent la contagiosité de la maladie, 2 personnes (paramédicaux) annoncent que les épileptiques sont des déficients intellectuels et 2 personnes évoquent l’hérédité. Tandis que 22 % (18/81) déclarent (soit 2 médecins et 16 paramédicaux) qu’ils n’accepteraient pas de manger dans le même plat qu’un épileptique. La contagiosité de la maladie est évoquée par la totalité des répondants. Parmi les 81 répondants, 55 % disent que l’épilepsie ne guérit pas (9 médecins et 46
paramédicaux)
Pour les familles, dans leur propre famille, les épileptiques sont discriminés : 34 % (17/50) des membres des familles qui ont répondu ne partagent pas le repas avec leur patient et l’expliquent par les risques de contagion.

Discussion
Notre étude a la particularité de s’intéresser en plus des catégories de personnes habituellement rencontrées dans les enquêtes socioanthropologiques, aux professionnels de la santé. Arawatife et al. (1985) remarquaient qu’interroger seulement les patients épileptiques dans le contexte socioculturel africain ne pouvait qu’entraîner des résultats biaisés. Orley et al. (1970) suggéraient de compléter les enquêtes par des questions plus indirectes permettant de recueillir des informations importantes et sensibles. C’est ce que nous avons fait au cours de la présente étude.
Les considérations socioculturelles prennent une part importante dans l’accès des épileptiques aux soins en Afrique. Les informations recueillies auprès des personnes interviewées confirment le poids de la tradition et montrent que les appellations et les interprétations populaires rencontrées dépendent des groupes ethniques qui composent la Guinée.
L’analyse de l’interprétation de l’épilepsie comme « maladie du roi » faite par les Malinkés pourrait faire croire qu’un enfant épileptiqueneserajamaissujetàunrejetauseindesafamilleou de son entourage proche du fait qu’un jour il peut devenir roi, mais, quand il quitte cette communauté pour rejoindre l’école, son lieu de travail ou pour fonder un foyer avec une personne qui n’est pas de son ethnie, la question se pose. Un tel patient ou ses proches ne serait-il pas tenté de vouloir maintenir les crises, sous prétexte que l’intéressé deviendra un jour roi ? L’une des conséquences sera le refus d’être soumis à un traitement.
Au Mali, dans le pays bambara, l’épilepsie est dénommée « Kirikimasen », la maladie qui fait tomber, « Kisenkiri » en pays Mossi au Burkina Faso, sifosekuwa au Swaziland « la maladie qui fait tomber », nwaa « jeter la personne à terre » pour les Bamilékés du Cameroun, kifafa « raide à demi-mort » pour les Waporo de Tanzanie, kobela ti makakou « la maladie du singe » en sango en République Centrafricaine. Au Sénégal, les termes pour nommer la crise, grand mal dans les 6 langues nationales signifient agitation, chute ou évanouissement selon (Karfo et al., 1993).
L’explication surnaturelle est donnée dans la quasi-totalité des études à des degrés divers et sous-entend souvent la cause responsable de la maladie (Pilard et al., 1992 ; Bonnet, 1995).
En Guinée, que ce soit les professionnels de la santé ou la population générale et, indépendamment du niveau de formation des personnes rencontrées, les considérations socioculturelles de l’épilepsie sont identiques. Toutes les dénominations de la maladie se rapportent aux diables, sorciers, interdits et mauvais sorts. Nos résultats montrent également que les professionnels de la santé, malgré leur niveau intellectuel, leur formation professionnelle et leur pratique quotidienne ont la même appréhension culturelle de l’épilepsie que la population générale.
La crise généralisée tonico-clonique est bien connue par l’ensemble des populations africaines mais les autres types de crises ne sont souvent pas reconnus et différenciés (Ngoungou, et al., 2006). Une étude CAP réalisée à Madagascar (Andriantseheno et Rakotoarivony, 1998), montre que 90,2 % des personnes interrogées connaissent l’épilepsie mais essentiellement à travers les crises de grand mal. Dans notre cas, 39 % de la population ne connaissent pas la maladie et 10 % des professionnels de la santé n’ont jamais entendu parler de l’épilepsie. Cette situation doit interpeller les professionnels engagés dans l’amélioration de la qualité de vie des épileptiques, car, les centres de santé où exercent les agents interviewés constituent la porte d’entrée du patient dans le système de santé guinéen.
A Madagascar, la connaissance de l’épilepsie par la population générale pourrait s’expliquer par l’existence des associations d’aide aux épileptiques et à leur famille qui font des activités d’informations et d’éducation pour la santé.
A cause du contexte culturel et économique, un grand nombre d’épileptiques ne bénéficient pas de traitement approprié. Les méthodes thérapeutiques traditionnelles sont nombreuses découlant directement des représentations culturelles et parfois religieuses de la maladie.
Le traitement dit moderne n’est pas accessible du fait de plusieurs facteurs. Le déficit du traitement « Treatment gap » est très important en Afrique. En Éthiopie, il est estimé à 98 % (Ngoungou, et al., 2006) Dans notre étude, les 27 % d’épileptiques perdus de vus à cause de l’indisponibilité et des ruptures fréquentes de molécules ne montrent que la face immergée de l’iceberg dans le treatment gap. D’après Shorvon et Farmer (1988) le problème majeur du traitement de l’épilepsie est la disponibilité des médicaments. Dans la plupart des pays africains, le phénobarbital reste le médicament le plus souvent disponible et le plus prescrit car le moins cher (Commissions III and IV on anti-epileptic drugs, ILAE, 1985 ; Diop et al. 1998, Nimaga et al., 2002 ; Pal et al. 1998). Malheureusement en Guinée, le phénobarbital n’est pas disponible à la pharmacie centrale du pays, seule structure publique officielle habilitée à importer des médicaments essentiels génériques. Cette situation difficilement acceptable par la communauté internationale qui s’investit dans l’épilepsie est pourtant une réalité en Guinée. Les causes sont essentiellement organisationnelles et économiques car d’autres molécules aussi essentielles dans d’autres pathologies comme la malaria rencontrent les mêmes difficultés.
La stigmatisation des épileptiques est une constante dans la plupartdespaysafricainsmalgrélesprogrèsréalisésdansl’information et l’éducation de certaines catégories socioprofessionnelles.
En Guinée, qu’il s’agisse des professionnels de la santé, la population générale ou les familles des malades, l’épileptique est stigmatisé.
Dans une étude (Millogo et al., 2004) réalisée au BurkinaFaso, pour 44 % de tradipraticiens, l’épilepsie était considérée comme contagieuse (Ngoungou et al., 2006). Dans notre étude, 42 % des personnes interviewées dans la population générale n’acceptaient pas de se marier à un épileptique et les raisons évoquées sont sans équivoques, 46 % redoutent la contagion. Le statut marital des épileptiques s’avère souvent différent de la population générale du fait d’une difficulté à se marier (Farnarier et al., 1996). Au Cameroun, les jeunes femmes épileptiques sont souvent « mariées » à des hommes âgés, mais les rites habituels du mariage ne sont pas requis dans ce cas (Nkwi et Ndonko, 1989). Dans notre étude 24 % de la population générale n’acceptent pas de partager le repas avec l’épileptique et 78 % évoquent le risque de contagion comme raisons principales. Tandis que 22 % des professionnels de la santé ne souhaitent pas manger dans le même plat qu’un épileptique et que le risque de contagion est mentionné par la totalité des personnes interviewées. Par ailleurs, 55 % des 81 professionnels de la santé disent que l’épilepsie ne guérit pas alors que Karfo et al., (1993) rapportent qu’environ dans 40 % des cas, les épilepsies sont considérées comme une maladie incurable Les stigmates de la maladie comme les cicatrices de brûlures, permettent d’identifier le patient épileptique, et sont souvent considérés comme un critère d’incurabilité (Ngoungou et al., 2006).

Conclusion
Dans un pays où le contexte socioculturel est fortement influencé par les phénomènes traditionnels, la nécessité de dialogue entre agents de santé, patients, familles et la population générale s’impose. C’est pourquoi, les résultats de la présente étude doivent interpeller tous les Guinéens qui s’intéressent à l’épilepsie mais aussi la communauté internationale qui s’occupe de cette thématique. Ainsi, grâce à la bourse de la Ligue Française Contre l’Épilepsie, nous avons mis en place en Guinée un dispositif (largement détaillé dans le rapport de la bourse) cohérent pour sortir l’épilepsie de l’ombre et améliorer l’accès des épileptiques aux soins. Il s’agit principalement d’un programme de formation des professionnels de la santé, de sensibilisation du grand public, de mise en place d’une Ligue Guinéenne Contre l’Épilepsie, de recherche d’une source d’approvisionnement fiable en médicaments essentiels génériques, d’accompagnement des associations d’épileptiques et de mécanisme de plaidoyer auprès des pouvoirs politiques.

Remerciements :

Nous remercions la Ligue Française Contre l’Épilepsie (LFCE) et les laboratoires GSK, SanofiSynthélabo et UCB pour le soutien financier apporté à ce travail.

Références
Andriantseheno LM, Rakotoarivony MC. Manuscrit n° 2123/NT 7. 1998, 3e congrès de neurologie tropicale Martinique.
Arawatife A, Longe AC, Arawatife M. Epilepsy and psychosis : a comparison of societal attitudes. Epilepsia 1985 ; 26 : 1-9.
Arborio S, Jaffré Y, Farnarier G, Doumbo O, Dozon J-P. Etude du kirikirimashien (épilepsie) au Mali : dimension étiologique et nosographique. Med Trop 1999 ; 59 : 176-80.
Bonnet D. Identité et appartenance : interrogations et réponses moose à propos du cas singulier de l’épileptique. Cah Sci Hum 1995 ; 31 : 501-22.
Commissions (III and IV) on antiepileptic drugs of the International League Against Epilepsy. Availability and distribution of antiepileptic drugs in developing countries. Epilepsia 1985 ; 26 : 117-21.
Diop AG, Ndiaye M, Thiam A, et al. Filière des soins anti-épileptiques en Afrique. Epilepsies 1998 ; 10 : 115-21.
Farnarier G, Moubeka-Mounguengui M, Kouna P, Assengone-Zeh Y, Gueye L. Epilepsies dans les pays tropicaux en voie de développement : Etude de quelques indicateurs de santé. Epilepsies 1996 ; 8 : 189-213.
Farnarier G, Diop S, Coulibaly B, et al. Onchocercose et épilepsie. Enquête épidémiologique au Mali. Méd Trop 2000 ; 60 : 151-5.
Karfo K, Kere M, Gueye M, Ndiaye IP. Aspects socioculturels de l’épilepsie grand mal en milieu dakarois : enquête sur les connaissances, attitudes et pratiques. Dakar Med 1993 ; 38 : 139-45.
Meinardi H, Scott RA, Reis R, Sander JW, ILAE Commission on the Developing World. The treatment gap in epilepsy : the current situation and ways forward. Epilepsia 2001 ; 42 : 136-49.
Millogo A, Ratsimbazafy V, Nubukpo P, Barro S, Zongo I, Preux PM. Epilepsy and traditional medicine in Bobo-Dioulasso (Burkina Faso). Acta Neurol Scand 2004 ; 109 : 250-4.
Ngoungou EB, Quet F, Dubreuil CM, et al. Epidémiologie de l’épilepsie en Afrique subsaharienne : une revue de la littérature. Epilepsies 2006 ; 18 : 25-40.
Nimaga K, Desplats D, Doumbo O, Farnarier G. Treatment with Phenobarbital and monitoring of epileptic patients in rural Mali. BullWorld Health Organ 2002 ; 80 : 532-7.
Annexe A. Documents d’enquête utilisés
1. Une fiche « Entretien avec les griots, sages, guérisseurs et historiens » comportant 3 questions ouvertes.
2. Un « Guide d’entretien destiné aux malades » et un guide d’entretien destiné aux familles de malades comportantles rubriques :
– profil de l’enquête questions d’identification sur l’enquêté ;
– connaissance de la maladie : 12 items ; – traitement de la maladie : 12 items ; – perception : 9 items.
3. Un « Guide d’entretien destiné à la population générale » comportant les rubriques :
Profil de l’enquête : questions d’identification sur l’enquêté ;
Connaissance de la maladie : une question fermée, 3 questions ouvertes ; Traitement de la maladie : 3 items ; Perception : 9 items.
4 . Une « Fiche destinée aux professionnels de santé » comportant les rubriques :
– profil de l’enquête : questions d’identification sur l’enquêté ;
– connaissance de la maladie : 5 questions ouvertes ; – traitement de la maladie : 3 items ; – perception : 9 items.
5. Un « Guide des-groupes de discussion avec les patients »comportant 3 questions ouvertes.
6. Un « Guide des groupes de discussion avec les familles de patients » comportant 3 questions ouvertes.
7. Un « Guide des-groupes de discussion avec la population générale » comportant 3 questions ouvertes.
Nkwi PN,Ndonko FT.TheepilepticamongthebamilékésofMahamin the Nde division, West Province of Cameroon. Cult Med Psychiatry 1989 ; 13 : 437-48.
Orley J. Epilepsy in Uganda (rural), a study of eighty-three cases. Afr J Med Sci 1970 ; 1 : 155-60.
Pal DK, Das T, Chaudhury G, Johnson AL, Neville BG. Randomised controlled trial to assess acceptability of Phenobarbital for childhood epilepsy in rural India. Lancet 1998 ; 351 : 19-23.
Pilard M, Brosset C, Juno A. Les représentations sociales et culturelles de l’épilepsie. Med Afr Noire 1992 ; 30 : 10.
Preux PM. Épilepsie en Afrique subsaharienne, Thèse d’Université, Limoges, juin 2000.
Preux PM, Druet-Cabanac M. Epidemiology and aetiology of epilepsy in sub-Saharan Africa. Lancet Neurol 2005 ; 4 : 21-31.
Shorvon SD, Farmer PJ. Epilepsy in developing countries : review of epidemiological, sociocultural, and treatment aspects. Epilepsia 1988 ; 29(suppl. 1) : S36-S54.
Sow A. Rapport intermédiaire du projet : « Comment s’y prendre pour améliorer la qualité de vie des épileptiques en Afrique ? » Conakry, Guinée. 2006.
Sow A. Thèse de maîtrise en santé publique, Anvers 2003, Belgique.
Tekle-Haimanot R, Forsgren L, Abebe M, et al. Clinical and electroencephalographic characteristics of epilepsy in rural Ethiopia : a community-based study. Epilepsy Res 1990 ; 7 : 230-9.

Auteur/autrice

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *