Revue d’Épidemiologie et de Sante Publique 000 (2021) 1−9
Article original
Qualité de la communication soignant-patient : quels apports de l’intégration de la santé mentale dans des services de première ligne en Guinée ?
Quality of health worker-patient communication: What are the benefits of integrating mental health into front-line services in Guinea?
Sowa, b, *, T. Smekens c, J. De Man d, M. De Spigelaere a, V. Vanlerberghe c, M. Van Dormael c, B. Criel c
a École de santé publique, Université Libre de Bruxelles, Route de Lennik 808 CP 594 – B-1070, Bruxelles, Belgique
b Faculté des sciences et techniques de la santé, Chaire de santé publique, Université Gamal Abdel Nasser, Commune de Dixinn – 1017 Conakry, Guinée
c Institut de médecine tropicale, Nationalestraat 155, 2000 Anvers, Belgique
d Centre for General Practice, Department of Primary and Interdisciplinary Care, University of Antwerp, Doornstraat 331, 2610 Wilrijk, Antwerp, Belgium
A B S T R A C T
Keywords:Health workers
Patients Health Centres Patient-centred care Communication Mental health * Auteur correspondant. Adresse e-mail : drsowab@msn.com (A. Sow). |
Background – Patient-centred care presupposes communication based on empathy, active listening, and dialogue. Our study examines the effects of integrating mental health in multi-purpose health centres on health workers’ communication with patients who consult for problems unrelated to mental health. The objective is to compare the quality of communication in health centres where staff have received specific training in the management of mental disorders (SM+) compared to those without such training (SM).
0398-7620/© 2021 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Pour citer cet article : A. Sow, T. Smekens, J. De Man et al., Qualité de la communication soignant-patient : quels apports de l’intégration de la santé mentale dans des services de première ligne en Guinée ?, Revue d’Épidémiologie et de Santé Publique (2021), https://doi.org/10.1016/j.respe.2021.06.001
Methods – The study was conducted among 18 health workers in charge of primary curative consultations in 12 non-governmental health centres in Guinea: 7 health workers in 4 SM+ health centres and 11 health workers in 8 SM health centres. The study is based on mixed methods: observation, semi-structured and group interviews. The Global Consultation Rating Scale (GCRS) was applied to assess patient-centred communication.
Results – The GCRS scores obtained by SM+s during observations are generally higher than the SM scores. The odds of having a « good quality » consultation are almost three times higher in SM+ than in SM for some steps in the consultation process. The SM+ discourse is more patient-centred and differs from the more biomedical discourse of SM. SM health workers do not consider all of the stages of a patient-centred consultation to be applicable and recommend « leapfrogging. » On the contrary, SM+ health workers consider all stages to be important and are convinced that the integration of mental health has improved their communication through the training they have received and the practice of caring for persons with mental disorders.
Conclusion – The integration of mental health into primary care provision represents an opportunity to improve the quality of care in its « patient-centred care » dimension. That said, optimal development of patient-centred care presupposes favourable structural conditions.
© 2021 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
1. Introduction
Les soins centrés sur le patient constituent une dimension essentielle de la qualité des soins [1] et impliquent une interaction soignant-soigné dans laquelle le patient est au centre des soins, où son expérience unique, ses souhaits et ses priorités sont pris en compte au même titre que les informations strictement médicales, et où il participe aux décisions le concernant [2,3]. Mead et Bower définissent les soins centrés sur le patient à partir de cinq dimensions : une perspective biopsychosociale, le « patient comme personne », le partage du pouvoir et de la responsabilité, l’alliance thérapeutique, et le « soignant comme personne » [4].
La qualité de la communication dans l’interaction soignant-soigné en est une dimension essentielle. Elle favorise des entrevues plus constructives, améliore l’expérience des patients et des professionnels, mais également les résultats thérapeutiques [5-6].
Selon une étude menée au Royaume-Uni, la majorité des patients attendent de leur médecin généraliste qu’il se montre aimable, écoute et comprenne leurs préoccupations, qu’il les considère comme partenaires et leur prodigue des conseils adaptés à leur contexte de vie − trois dimensions de la communication caractéristiques des soins centrés sur le patient [7]. En Afrique, les interactions entre patients et soignants ont été décrites comme brèves et instrumentalisées, laissant peu de place au dialogue [8].
Notre étude examine les effets de l’intégration de la santé mentale dans des centres de santé polyvalents en Guinée sur la qualité de la communication au cours de la consultation curative.
Contrairement aux pays du Nord, les soins de santé mentale sont peu développés en Afrique subsaharienne, malgré une morbidité importante [9]. C’est le cas en Guinée où l’offre en soins modernes de santé mentale est très limitée [10], mais des expériences pionnières sont menées dans des centres de santé du secteur associatif, en particulier par Fraternité Médicale Guinée (FMG) [11]. FMG offre des soins de première ligne aux communautés, tout en portant une attention particulière aux populations marginalisées. L’intégration de la santé mentale dans ces centres de santé a été possible grâce à l’accompagnement théorique et pratique des soignants par des spécialistes sensibilisés aux soins de santé primaires [12,13].
Une étude exploratoire par entretiens a été menée en 2018 auprès de ces soignants pour apprécier leurs changements d’attitude suite à cette intégration. Ils disaient avoir surmonté leur peur des malades mentaux et développé des attitudes positives envers eux, et certains déclaraient avoir découvert et adopté une approche centrée sur les patients, applicable selon eux également dans des consultations avec des patients tout-venants [12]. Les facteurs favorables à l’adoption de cette approche centrée sur le patient relevaient des modalités de la formation (formation in situ basée sur des consultations conjointes, proposant un modèle de rôle et offrant des mécanismes de soutien aux soignants) et d’un contexte organisationnel non bureaucratique [12].
La présente étude vise à évaluer si la communication soignant-patient est meilleure dans les centres de santé qui ont intégré les soins aux personnes ayant des troubles mentaux (SM+) que dans les centres qui ne les offrent pas (SM). Elle se base sur l’hypothèse que les compétences en communication acquises par des soignants dans le cadre de consultations en santé mentale rejaillissent sur leur façon de mener des consultations curatives générales et donc que les soignants des centres de santé ayant intégré la santé mentale mettent en œuvre des compétences en communication plus favorables à une approche centrée sur le patient, quel que soit le problème de santé abordé durant la consultation curative polyvalente.
2. Matériels et méthodes
2.1. Design de l’étude et collecte des données
L’étude a été menée dans 12 centres de santé du secteur associatif : quatre centres qui offrent des soins en santé mentale (SM+) et huit qui ne les offrent pas (SM). Sept sont basés à Conakry et cinq à l’intérieur du pays. Tous sont intégrés dans les districts sanitaires de leurs localités, ont des modes de fonctionnement et de financement comparables et sont en majorité dirigés par des médecins.
Les 12 centres de santé de notre étude appartiennent au secteur associatif. Ils présentent des caractéristiques globalement identiques : tous sont privés à utilité publique. Neuf de ces centres ont été installés par des ONG et trois sont confessionnels, créés par des congrégations religieuses. Ces centres pratiquent des consultations primaires curatives, offrent des médicaments essentiels génériques et fonctionnent sur le mode de paiement à l’acte, intégrés dans les districts sanitaires. En Guinée, sur les 450 centres de santé (première ligne de soins), 410 sont publics. Les centres publics, qui emploient des fonctionnaires de l’État et travaillent officiellement au forfait par épisode de maladie, ont été exclus de l’étude en raison de leurs modes de fonctionnement différents.
En Guinée, seuls cinq centres de santé intègrent des soins de santé mentale dans leur offre de soins. Parmi eux, un centre de santé public a été exclu de l’étude. Les quatre autres centres ont été inclus. Ainsi, parmi les 12 centres de santé de l’étude, seuls quatre offrent des soins en santé mentale. Les huit autres centres ont été sélectionnés sur la base de leur fréquentation, de leur intégration dans les districts sanitaires, et de l’accord de leur responsable à participer à l’étude.
Tous les soignants chargés des consultations primaires curatives dans ces 12 centres ont été inclus, soit 18 soignants (âgés en moyenne de 41 ans, autant pour les SM+ que pour les SM), dont sept dans des centres SM+ (cinq médecins, un infirmier et un travailleur social) et 11 dans des centres SM (neuf médecins et deux infirmiers). Les soignants en congé au moment de l’étude n’ont pas été pris en compte. Certains centres de santé n’avaient qu’un seul soignant en charge des consultations primaires curatives, tandis que d’autres, plus fréquentés, en avaient entre deux et quatre. Aucun soignant ne travaillait dans plus d’un centre de santé.
Pour chaque soignant, nous avons observé 25 consultations, soit au total 450 consultations (175 dans des centres SM+ et 275 dans des centres SM). Dans les centres les plus fréquentés, une consultation sur trois a été retenue dans l’ordre d’arrivée des patients ; dans les centres moins fréquentés, toutes les consultations ont été observées jusqu’à atteindre 25 par soignant [13].
Cette étude repose sur une approche par méthodes mixtes [14], avec trois moments de collecte de données en séquence :
- Observation des consultations :
Un observateur externe a observé 25 consultations primaires curatives pour chaque soignant et attribué des scores sur la qualité de la communication soignant-soigné à l’aide de l’outil Global Consultation Rating Scale (GCRS) [15], adapté au contexte guinéen. Les soignants ont été informés qu’il s’agissait d’une étude évaluant la qualité des soins, en particulier la qualité de l’interaction soignant-patient. - Entretiens qualitatifs semi-structurés :
Des entretiens ont été réalisés avec les 18 soignants observés pour recueillir leur perception des soins centrés sur le patient et discuter de l’outil GCRS (compréhension, appréciation, faisabilité). Le guide d’entretien a été testé préalablement dans deux centres de santé ne participant pas à l’étude. Tous les entretiens ont été enregistrés et transcrits mot à mot, avec une durée variant de 30 à 80 minutes. - Entretiens individuels et de groupe :
Deux ateliers de restitution ont été organisés avec les participants à l’étude et l’équipe de chercheurs. Par ailleurs, des entretiens individuels et de groupe ont été menés avec les sept soignants SM+ et des témoins privilégiés de l’intégration de la santé mentale dans les centres de santé.
Les observations et entretiens ont été conduits par un même médecin de santé publique, minimisant ainsi tout risque de variabilité inter-observateur. Avant chaque consultation, le soignant expliquait la présence de l’enquêteur au patient et demandait son accord. Les soignants n’ont été informés qu’il s’agissait d’une comparaison entre SM+ et SM qu’au moment de la restitution des résultats.
La collecte des données s’est étalée d’août à octobre 2018. L’observateur n’était pas informé du fait que l’étude comparait deux catégories de centres (SM+ et SM).
L’outil GCRS [15] est destiné à évaluer la qualité de l’interaction entre patient et soignant tout au long de la consultation médicale. Basé sur le guide Calgary-Cambridge, largement utilisé en Europe et en Amérique du Nord pour former les soignants à la communication [2,15,16], il conçoit la communication comme une approche centrée sur le patient, intégrée dans une démarche clinique globale, plutôt que comme un simple ajout d’habiletés spécifiques en communication à une démarche biomédicale inchangée [2].
L’outil se structure autour des étapes de la consultation (engager la séance, recueillir l’information, procéder à l’examen physique, expliquer et planifier, clôturer la séance) et inclut deux compétences communicationnelles transversales : établir et maintenir la relation, et structurer le déroulement de la consultation.
Pour le contexte guinéen, la grille a été adaptée par une équipe composée de médecins, sociologues et agents de santé communautaire, afin de refléter les réalités locales et faciliter sa compréhension. La communication non verbale a été ajoutée dans la section sur le maintien de la relation.
La grille comporte 11 domaines de compétences (voir Tableau 1). Pour chaque domaine, des indices de « bonne communication » facilitent la notation, avec des scores attribués par l’observateur :
- 0 = Médiocre ou absent,
- 1 = Adéquat,
- 2 = Bien,
- 3 = Non applicable (NA).
La grille a été pré-testée sur 25 consultations, puis ajustée et testée sur 15 autres consultations dans des centres non participants à l’étude.
3. Analyses des données
3.1 Observation des consultations
Outil et Analyse Quantitative :
- Grille GCRS : Outil d’évaluation utilisé pour attribuer des scores aux consultations. La version adaptée inclut 11 domaines de compétences, excluant « clôturer la session ».
- Scores : Normalisés sur une échelle de 0 à 24.
- Catégories : Consultations de moindre qualité (scores 0–11) et de bonne qualité (>11).
- Analyse : Régression logistique à trois niveaux (variabilité due aux soignants et centres) pour modéliser les différences entre SM+ et SM−.
- Logiciel : Analyse effectuée avec le package R lme4.
Résultats :
- Une distinction dans la qualité des soins entre SM+ et SM−, analysée par des odds ratios et des intervalles de confiance à 95 %.
3.2 Entretiens avec les soignants
Méthodologie Qualitative :
- Participants : 18 soignants observés (7 SM+ et 11 SM−).
- Processus :
- Codification des entretiens par trois chercheurs (médecin de santé publique, sociologue, chercheur principal).
- Confrontation des résultats pour valider la fiabilité des analyses.
- Comparaison des pratiques relationnelles et biomédicales entre SM+ et SM−.
Axes d’Analyse :
- Focus biomédical vs biopsychosocial.
- Patient porteur d’une maladie vs patient comme personne.
- Relation asymétrique vs participative.
- Courtoisie vs empathie/alliance thérapeutique.
Résultats :
- Identification des contraintes et conditions influençant la mise en œuvre des compétences relationnelles. Les soignants SM+ démontrent souvent une approche plus centrée sur le patient.
3.3 Discussion des résultats des observations : données qualitatives
Ateliers et Entretiens de Groupe :
- Dynamique : Faible participation des soignants SM−, limitant la richesse des débats. Focus sur les entretiens individuels et de groupe pour approfondir les hypothèses explicatives des différences de scores.
- Hypothèses Clés :
- Formation et sensibilisation spécifiques en santé mentale (pour SM+).
- Contraintes systémiques (charge de travail, manque de ressources) influençant les pratiques.
Données Anonymisées et Consentement :
- Approche éthique validée par la CNERS (Guinée). Les participants, informés et anonymisés, ont consenti librement à participer.
Tableau 1 : Domaines de Compétences GCRS Adaptée
Le tableau fournit une structure claire des compétences observées, incluant des dimensions séquentielles et transversales :
- Initiation et structure : Accueil, séquençage logique des étapes.
- Rassemblement d’informations : Utilisation de questions ouvertes, écoute active, clarté.
- Maintien de la relation : Empathie, contact visuel, posture non verbale appropriée.
- Planification et compréhension partagées : Décisions partagées, clarification des étapes.
Cette étude met en évidence l’impact de l’intégration des soins en santé mentale sur la qualité des consultations, avec une méthodologie rigoureuse combinant analyses quantitatives et qualitatives. Elle souligne l’importance de la formation en communication centrée sur le patient, particulièrement dans les contextes à ressources limitées.
4. Resultats
4.1. Caractéristiques des patients participants à l’étude
Les informations sur la population (patients) étudiée sont décrites dans le Tableau 2. Sur les 450 consultations observées, 442 patients (98 %) ont fourni toutes les informations.
4.2. Observation des consultations concernant les « soins centrés sur le patient »
De manière générale, dans les structures SM+, 89 consultations sur 171 (51 %) ont été évaluées positivement (score total supérieur à 11), contre 58 sur 275 (21 %) dans les centres SM-. Il n’y a pas eu de scores manquants. Les consultations ont duré en moyenne 8,7 minutes dans les centres SM+ et 7,3 minutes dans les centres SM-.
Tableau 2Caractéristiques des patients participants a l ’etude en pourcentage.
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L’intégration de la santé mentale dans les centres de santé était significativement associée à une meilleure qualité de la communication soignant-patient (ORa = 2,92 ; IC95 % 1,07−7,99).
La Figure 1 présente les scores des 18 soignants. On note une grande hétérogénéité pour les différentes dimensions au niveau de chaque prestataire individuel, mais aussi entre les différents prestataires. Cette hétérogénéité indique aussi que chaque question évalue une dimension distincte de la qualité des soins. Dans le groupe SM-, presque toutes les consultations « médiocres » pour les dimensions 1 (Initier la session), 2.1 (Identifier le problème du patient) et 2.2 (Explorer le problème du patient) ont eu lieu dans la même structure, suggérant que ces différences sont liées à la structure elle-même plutôt qu’à la présence ou non de l’intégration de la santé mentale.
Le centre de santé qui a regroupé plus de consultations « médiocres » avait des particularités : il mobilisait plusieurs soignants en consultation primaire curative, du fait de sa fréquentation (environ 150−200 patients par jour), surtout par des enfants. La présence des services de suivi nutritionnel, de vaccinations et de suivi des enfants de 0−5 ans pourrait expliquer la présence massive des enfants.
Figure 1. Répartition des scores pour les 11 dimensions parmi les 18 soignants.
Chaque diagramme à bandes représente un prestataire distinct. Les prestataires opérant dans un même centre de santé sont regroupés dans un encadré. Pour chacun des prestataires, chaque bande est basée sur 25 observations.
L’effet de l’intégration de la santé mentale varie selon les dimensions explorées (Tableau 3). Des différences statistiquement significatives s’observent entre SM+ et SM- pour chacune des dimensions, sauf pour les dimensions 2.1 et 2.2, respectivement, identification et exploration du problème du patient, et la dimension 8 (maintien de la relation avec le patient tout au long de la consultation). Malgré l’absence de différence entre SM+ et SM- pour ces dimensions, les scores sont globalement bons dans les deux catégories.
Pour les dimensions 2.3 (Perspectives patient) à 7 (Clôturer la session), les scores sont bas dans les deux groupes tout en restant significativement plus élevés pour le groupe SM+. Il s’agit de la prise en compte de la perspective du patient, son vécu, sa référence par rapport à son problème de santé, du partage et de la compréhension de l’information, et la clôture de la consultation après avoir partagé la décision.
Estimation | Intervalle de confiance (a 95 %) | |
Intercept | 0,31a | 0,17−0,56 |
Effet de SM+ | 2,92b | 1,07−7,99 |
Variance entre prestataires | 0,04 | |
Variance entre structures | 0,51 |
4.3. Perception de la pertinence et de l’applicabilité de la grille par les soignants
Les soignants des centres SM perçoivent les dimensions présentées dans la grille comme « un idéal » difficile à atteindre : ils accordent la priorité à l’accueil, au recueil des informations utiles au diagnostic, et à l’explication du traitement au patient. La plupart déclarent « sauter des étapes », en particulier la prise en compte des perspectives du patient sur son problème, l’information sur la maladie, et la négociation du traitement. Ces étapes sont jugées non applicables en raison du faible niveau d’instruction des patients et de contraintes de temps (Tableau 4).
Par contraste, tous les soignants des centres SM+ jugent pertinentes et applicables toutes les étapes de la grille, et déclarent mettre en œuvre les différentes compétences communicationnelles, tout en reconnaissant que ce n’est pas toujours possible faute de temps. Alors qu’aucune question ne portait sur la santé mentale, la plupart des soignants SM+ font spontanément des parallèles avec la communication avec des malades mentaux, soulignant l’importance de l’écoute active, du sens donné à sa maladie par le patient psychiatrique, de son implication dans l’adaptation du traitement à sa situation, ou de la prise en compte des croyances populaires.
4.3.1. Biomédical / bio-psycho-social
Les soignants SM rapportent une orientation biomédicale centrée sur l’identification d’une pathologie et son traitement. Si certains disent « prendre le problème social et psychologique des patients en compte » parce qu’il peut interférer avec la maladie ou le traitement, la plupart ne se sentent pas concernés par les aspects non médicaux des problèmes de leurs patients.
Les discours des soignants SM+ sont tous orientés vers le bio-psycho-social. Tous accordent de l’importance à « l’environnement social et l’état psychologique » du patient, et la plupart parlent du « problème » du patient plutôt que de pathologies.
4.3.2. Patient comme porteur d’une maladie / comme personne
Pour la quasi-totalité des soignants SM, le patient est essentiellement perçu comme porteur d’une maladie. Ils décrivent l’anamnèse comme un « interrogatoire orienté », une écoute sélective où le soignant doit « décanter ce qui est important et ce qui ne l’est pas » pour le diagnostic. Les significations que donne le patient à sa maladie ne sont pas pertinentes pour le diagnostic, et il est jugé superflu de « traîner trop sur la dimension échange et dialogue ».
Les soignants SM ne contredisent pas ouvertement les « croyances des malades », mais n’en tiennent pas compte : « Quand le patient vient avec un diagnostic ancré en lui, il est difficile de le convaincre de changer d’idées ; je cherche donc à cerner la réelle pathologie et je gère à mon niveau ».
Frequences (%) des scores des 11 dimensions dans les centres de sant e SM+ etSM . |
Les soignants SM+ considèrent le patient comme une personne qui souffre, et les significations qu’il donne à sa maladie sont importantes pour comprendre son problème. Ils insistent sur la nécessité de « prendre au sérieux » ses préoccupations : « quand tu te focalises simplement sur ses plaintes et pas sur le vécu, tu risques de passer à côté ». Ils estiment indispensable de poser des questions ouvertes pour offrir « un champ plus large pour expliquer sa problématique », de « l’encourager à s’exprimer » à travers « l’écoute active basée sur la compréhension, sur la valorisation de ce que ton interlocuteur t’apporte ».
Les soignants SM+ non seulement ne contredisent pas les croyances populaires mais évoquent des tentatives de compréhension partagée : « il ne faut pas nier sa conviction mais faire des liens avec son problème de santé ».
4.3.3. Relation asymétrique/participative
Pour les soignants SM, le soignant a un rôle actif dominant, en tant qu’expert il conduit la consultation et prend les décisions, et le patient doit collaborer. Cela se traduit à toutes les étapes de la consultation. L’« interrogatoire » est dirigé par le soignant, qui « sait ce qu’il cherche comme information » et doit « cadrer le malade par rapport à son problème ». Les patients étant pour la plupart peu instruits et jugés incapables de comprendre, les soignants SM fournissent peu ou pas d’explications sur la maladie et plusieurs admettent ne pas donner le diagnostic. Quant à la décision de traitement, elle relève pour eux du soignant seul, et « il faut que le malade accepte le traitement que vous lui proposez ». Il en va aussi de l’autorité du médecin : « si vous acceptez que le patient vous impose quelque chose, c’est vous qui perdez votre autorité ». Certains soignants SM toutefois disent tenir compte des préférences du patient et de ses capacités financières pour favoriser l’adhésion au traitement.
Pour les soignants SM+, le patient est un partenaire, sa contribution active est encouragée et il participe à la décision de son plan de traitement. L’un d’entre eux déclare que le soignant « doit partir avec les priorités de son patient » et « c’est le malade qui guide le soignant », le rôle du soignant étant de recadrer les informations. Les explications au patient à propos de sa maladie sont jugées essentielles, à la fois pour qu’il s’implique dans la gestion de son problème et parce que c’est un « droit légitime du patient ». Le faible niveau d’instruction des patients suppose un effort supplémentaire pour expliquer : « la majorité des malades sont des analphabètes, donc c’est important de voir s’il a compris, et là où il n’a pas compris, tu reprends et tu le rassures davantage ». Enfin, ils estiment qu’il faut « faire participer nos patients à la prise de décision ». La discussion du traitement doit notamment aborder d’éventuelles objections du patient. Le soignant est le garant de l’efficacité technique du traitement, mais doit « proposer des variantes avec les avantages et inconvénients et amener le malade à prendre aussi des décisions pour qu’il se sente concerné par le choix ».
4.3.4. La relation : courtoisie/alliance thérapeutique
Tant les soignants SM+ que SM- insistent sur la qualité de l’accueil pour créer un climat de confiance. Pour les soignants SM, il s’agit d’être « courtois » et « aimable » pour rassurer le malade et l’inciter à coopérer : « quand vous établissez la confiance, tout ce que vous direz au patient il va comprendre et il va l’appliquer ». Quelques soignants SM soulignent également que la confiance est favorable à la renommée du soignant : « il va recommander à d’autres patients de venir chez toi ». Cette « courtoisie » va de pair avec des discours parfois peu respectueux de patients « qui divaguent beaucoup », qu’il ne faut pas encourager à parler ou qui ne comprennent pas.
Les soignants SM+ insistent également sur la confiance pour renforcer la coopération du patient, mais à travers une écoute empathique. Ils évoquent comment « donner de l’espoir au malade », « partager sa douleur et ses peines », ou encore « lui faire comprendre que vous êtes là pour lui ». Plusieurs soulignent que cela suppose une relation égalitaire.
4.4. Discussion des résultats des observations
Les participants ignoraient jusque-là que l’étude visait à comparer les SM+ et SM ; les soignants SM se sont étonnés de constater que leurs scores étaient plus faibles tandis que les soignants SM+ n’étaient pas étonnés mais ne comprenaient pas pourquoi ils obtenaient des scores similaires dans certaines dimensions et différents dans d’autres. Pour explorer l’impact potentiel de l’intégration de la santé mentale sur la qualité de la communication, nous nous basons donc sur les entretiens individuels et de groupe avec les soignants SM+.
Les répondants ne sont pas étonnés des meilleurs scores des SM+ car ils considèrent que l’intégration de la santé mentale a amélioré leur façon de communiquer : « il y a eu un déclic lié aux formations : les prestataires ont eu une logique d’intervention différente de ce qu’on faisait dans le passé ».
Ils ont assimilé un mode de pensée bio-psycho-social, incontournable en santé mentale, qu’ils disent transposer dans leur pratique générale. Ils ont également développé des aptitudes à écouter, à comprendre la perspective du patient, à « entrer dans son répertoire ». En effet, l’écoute du récit du malade mental est cruciale pour comprendre son problème. Plusieurs répondants font remarquer qu’il n’est pas facile de comprendre ce que dit un malade mental et que « celui qui comprend bien ça pourra le faire pour les autres malades, également ». Certains disent aussi avoir transposé l’écoute du patient, en plus de celle de son entourage, à la consultation avec des enfants : « c’est grâce à la santé mentale que j’écoute maintenant les enfants même s’ils ne sont pas matures ».
Tout comme ils acceptent les interprétations populaires et les recours à la médecine traditionnelle en santé mentale, ils disent tenir compte pour d’autres maladies des cadres de référence de leurs patients. Sans s’opposer aux croyances populaires, ils disent informer les malades en partant de ce qu’ils savent, pour nuancer, compléter, renforcer ce qui est juste et éventuellement « corriger les connaissances erronées ». L’information est importante car « plus un malade connaît et accepte sa maladie, plus le soignant a la chance d’obtenir un bon résultat ».
Associer le malade aux décisions concernant le plan de traitement est une condition d’adhésion pour les malades mentaux, et les répondants évoquent des pratiques applicables aussi à d’autres patients : « Il faut toujours donner des éventails de solutions pour permettre le choix du patient, parfois de la famille, qui est fondamental pour l’efficacité du traitement ». Associer le malade au traitement « aboutit à la création d’une alliance, elle aidera à créer la confiance et l’observance du traitement ».
En revanche, ils s’étonnent que les différences de scores ne soient pas davantage marquées, et fournissent des éléments d’explications.
Pour l’initiation de la session, les scores des SM sont moindres que ceux des SM+ mais néanmoins assez élevés. Si certains s’en étonnent, d’autres font remarquer que l’accueil « est le béaba de tout praticien », surtout dans les structures privées, et que la présence d’un observateur peut avoir constitué un biais.
Les répondants s’étonnent également de l’absence de différence significative entre les scores des SM+ et SM pour l’identification et l’exploration du problème. Certains font remarquer que l’anamnèse est une démarche commune à tous les praticiens, et que d’autres formations comme celles sur le VIH/sida insistent sur l’écoute et la nécessité de donner la parole au patient. Mais plusieurs suggèrent que l’écoute active et l’encouragement du patient à s’exprimer sont davantage nécessaires en santé mentale qu’en santé organique, et que dans la pratique ils ne les transposent sans doute pas systématiquement aux problèmes tout-venants.
L’absence de différence significative pour les scores concernant les dimensions transversales les interpelle aussi : le maintien de la relation et la structure de la consultation. Le transfert des attitudes développées avec les malades mentaux pourrait être limité parce qu’on n’utilise pas pour les consultations « organiques » le dossier médical longitudinal utilisé en santé mentale qui permet de « rentrer dans la vie du malade » et facilite l’empathie. La durée de la consultation en santé mentale est également nettement plus longue qu’une consultation pour une maladie organique. Enfin, d’autres suggèrent que « avec un malade mental, le respect du schéma est obligatoire, mais pour les autres malades ce n’est peut-être pas nécessaire », ou encore que « la santé organique est beaucoup plus basée sur l’anamnèse, l’inspection, l’auscultation, la palpation et la percussion ».
- Discussion
Dès les débuts de l’intégration de la santé mentale dans des centres de santé en Guinée, des observateurs ont rapporté que cette initiative avait pour effet inattendu l’amélioration des interactions des soignants avec l’ensemble de leurs patients (International Colloquium. Integration and disease control, Institute of Tropical Medicine Antwerp 2002). Lors d’une étude par entretiens auprès de ces soignants [12], une partie d’entre eux déclarait effectivement transposer à d’autres patients l’approche centrée sur le patient découverte lors de leur formation en santé mentale. Une seconde étude menée dans des centres SM+ et SM [13] suggère que les patients attribuent des scores plus élevés aux soignants des centres SM+ pour la participation.
Les résultats des observations montrent presque trois fois plus de consultations de « bonne qualité » parmi les SM+ que les SM-. Les SM+ obtiennent de meilleurs scores pour toutes les dimensions de la communication et ces différences sont significatives, sauf pour l’identification et l’exploration du problème du patient et le maintien de la relation tout au long de la consultation pour lesquels tous les soignants SM+ ou SM obtiennent des scores élevés, de même que pour l’accueil. Pour les dimensions de prise en compte de la perspective du patient, de l’information du patient sur sa maladie et de l’implication du patient dans la décision de traitement, tous les soignants ont des scores faibles, même si ceux des SM+ restent significativement supérieurs à ceux des SM.
D’autres facteurs (fréquentation élevée, présence de plus d’enfants parmi les consultants menant à la communication soignant-parents plutôt que soignants-patients) liés aux centres de santé eux-mêmes plutôt qu’à la présence ou non de l’intégration de la santé mentale peuvent expliquer les consultations médiocres. Une hypothèse explicative serait qu’au vu de ces facteurs, les soignants consacrent moins de temps aux patients et à certains aspects de la communication.
Les entretiens individuels corroborent largement les données quantitatives concernant les SM, qui déclarent « sauter des étapes » et privilégier l’accueil, l’identification et l’exploration du problème, et l’explication du plan de soins lors de la clôture de la session − c’est-à-dire les étapes pour lesquelles ils avaient des scores élevés. Quant aux SM+, ils considèrent toutes les dimensions comme importantes, y compris celles pour lesquelles leurs scores sont bas et que certains reconnaissent ne pas toujours appliquer.
La comparaison entre SM et SM+ montre un discours nettement plus centré sur le patient chez les SM+ alors que le discours des SM relève davantage de l’approche biomédicale traditionnelle [4]. À noter qu’il y a davantage d’homogénéité dans le discours des soignants SM+ que des soignants SM.
Cette étude présente des limites. Tout d’abord, nous ne savons pas si l’application des connaissances des soignants se reflète aussi dans la qualité de la prise en charge des patients. Ensuite, les résultats d’observation n’ont pas porté sur les consultations de soins suivis, et sont donc biaisés par l’afflux important de patients sans pathologie grave. Enfin, cette étude n’a pas étudié l’impact de l’environnement social des soignants sur la pratique.
Conclusion : La formation en santé mentale améliore la qualité de la communication entre soignants et patients, en particulier pour les soignants qui intègrent cette approche dans leur pratique générale. Cette étude ouvre la voie à des recherches plus approfondies sur l’effet de l’intégration de la santé mentale dans les formations et les pratiques de santé.
Références
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