Mission 2 : 25 avril – 13 mai 2018

FMG-Mémisa-Sa.M.O.A.

 

Mission 2 : 25 avril – 13 mai 2018

 

Les langues se délient lorsque s’ouvrent les oreilles.

 

Cette mission a vu se succéder deux périodes de formation de six jours chacune, et deux temps de rencontre avec des tradipraticiens.

 

 

  1. Méthodologie

 

Un patient (« malade mental ») et sa famille, qui fréquentent le Centre de Santé et y reçoivent des soins, sont invités par le médecin de celui-ci à discuter avec le formateur en présence des participants. L’entretien est long, le plus détaillé possible, avec la famille en présence du patient d’abord, avec le patient seul ensuite. Chaque élément fait l’objet de questionnements, de discussions, de commentaires et de renvois aux exposés précédents. Suit une synthèse théorique.

 

Pas plus de quatre patients et leur famille ne seront reçus par jour.

 

La première période eut lieu à Moriady du vendredi 27 au mercredi 2 mai inclus.

 

Membres des CS présents

Dr Sangaré Siaka (FMG)
Dr Hamidou Diallo (Moriady)
Mme Dr Sylla M’mah (Cky)
Mr Sy Amadou Oury (Cky)
Dr Camara Lansana (Timbo)
Dr Mamadou Yero Diallo (Institut Télimélé)
Mr Diallo Mamadou Diao (CS Télimélé)

 

Tableaux cliniques présentés et commentés

  • A préciser
  • Délire Chronique Systématisé (paraphrénie).
  • Pathologie neurologique.
  • Episode maniaque.
  • Dépression mélancolique.
  • Psychose aigue.
  • Névrose.
  • Trouble anxieux.

 

La seconde période eut lieu à Labé du samedi 5 mai au jeudi 10 mai inclus.

 

Membres des CS présents

Dr Abdoulaye Sow (FMG)
Dr Sangaré Siaka (FMG)
Dr Bapate Barry (Santé Sud)
Dr Korka Baldé Mamadou (Labé)
Mme Diallo Mariama Kesso (Labé)
Mr Alpha Oumar Bah (Labé)
Mme Aly Héro Bah (Pita)
Mr Amadou Sara Bah (Pita)
Mr Bangoura Ibrahima Sory (Korbè)
Dr Abdoulaye Barry (Timbi Madina)
Dr Bangoura Faba Abraham (Thianguel Bory)

Tableaux cliniques présentés et commentés

  • Schizophrénie.
  • Trouble bipolaire type maniaque.
  • Névrose.
  • Dépression.
  • Psychose aigue.
  • Toxicomanie versus consommation de cannabis.
  • Débilité.
  • Confusion mentale versus psychose aigue.

 

 

  1. Outil de travail

 

Elaboration d’une procédure de rencontre avec le patient et sa famille permettant de structurer l’entretien dans un ordre où la démarche logique suit sa chronologie :

 

  1. Récit de la famille en présence du patient (à ordre social)

La famille sort, nous laissant seuls avec le patient.

  1. Lecture des symptômes-signes selon la clinique psychiatrique (à ordre médical)
  2. Récit du patient (à vérité individuelle)
  3. Retour sur 1 et 2 : du désordre (social et médical) à la compréhension (à psychopathologie)

Implication de la famille dans la démarche thérapeutique si nécessaire.

 

Une des particularités de la psychiatrie est qu’elle interroge, plus encore que la médecine générale, le plus intime de l’être. Et même si les manifestations comportementales les plus spectaculaires de la maladie mentale s’expriment sur la place publique, elle trouve son origine dans ce que le patient a de plus privé.

 

L’actuelle tendance à la neurologisation plus ou moins fonctionnelle de la psychiatrie ne délivre ni le médecin ni le patient de cette obligation : l’énoncé des « symptômes » de la « maladie » relève bien plus de la confidence faite au premier par le second en écho à son écoute respectueuse que du recueil anonyme de données anamnestiques.

 

Permettre au patient de donner accès au médecin à son intimité et en recueillir les aveux débute au minimum par la « privatisation » de l’espace de rencontre. Nous n’avons donc pas hésité à demander aux participants d’éteindre téléphones, ordinateurs et tablettes, de fermer les portes et d’éviter les allées et venues pendant les entretiens.

Le respect de ce cadre de travail est la condition nécessaire à l’entretien psychiatrique. Nous espérons qu’il leur sera possible d’en poursuivre l’exercice sur leur lieu de travail.

 

Lors du parcours des quatre points de ce que les participants ont appelé spontanément le « schéma thérapeutique », fut retrouvée, à chaque entretien, la discordance entre

– le récit de la famille (point 1) qui ne porte que sur la « maladie mentale » (quelle qu’elle soit) en tant que trouble unitaire de l’ordre social d’une part,

– la lecture selon la clinique psychiatrique classique européenne (point 2) d’autre part et, enfin,
– le témoignage du patient (point 3).

 

Ces trois dimensions hétérogènes nécessitent une lecture multidimensionnelle (et non un abord pluridisciplinaire) comme développé dans le rapport de mission précédent.

 

Notons l’importance du parcours successif des différents points et leur aboutissement via la boucle rétroactive : le point 4 n’est possible qu’après traversée du point 3, qui lui-même succède nécessairement aux points 2 et 1.

Cette boucle rétroactive ouvre à une psychopathologie qui orientera la démarche thérapeutique. Autrement dit : Au-delà des symptômes de la maladie, ouvrez-vous à la vérité du patient : vous trouverez la vérité du symptôme !

 

Nous insistons sur l’originalité du dispositif, originalité qui pourrait surprendre tant celui-ci pourrait sembler s’imposer par son évidence et sa simplicité. Mais, faut-il le reconnaitre, il est exceptionnel qu’aujourd’hui en Guinée, un patient présentant une problématique psychiatrique (au sens le plus large) soit reçu – et encore moins écouté – seul (c’est-à-dire sans la présence de tiers plus ou moins familiaux) et selon une autre grille lecture que celle du récit circonstancié des désordres qu’il produit ou selon les critères nosographiques d’une « Classification Internationale » des maladies mentales.

 

La liberté que je propose de prendre par rapport aux Classifications Internationales (sans les discréditer pour autant) est un enjeu essentiel. Non qu’il s’agisse de nier leur intérêt pour le classement des maladies (mais pas celui des malades !) à des fins administratives, statistiques ou de recherche épidémiologique, mais qu’enseigner la psychiatrie avec de tels instruments orienterait l’abord de la situation dans le seul but de la recherche de signes cliniques (point 2) aboutissant à une catégorisation des troubles (et non à l’écoute des malades) et à une démarche qui fait fi du sens que prend la maladie mentale pour le patient rencontré dans le contexte précis de son émergence. Ces classifications utilisées comme seuls instruments de lecture donnent l’illusion au soignant de maîtriser un savoir lire (le tableau clinique), qui s’ouvrirait sur le pouvoir de guérir… les symptômes (mais pas le malade) au mépris des dires du patient (point 3).

 

L’expérience nous rappelle combien une telle démarche est ou inefficace ou dangereuse, si elle ne se nourrit pas de l’essentiel : l’écoute du patient, et l’effort non de recueil de données mais de compréhension de celui-ci, nécessaire à ce que se tisse une relation thérapeutique qui sera le véritable levier du changement.

 

Une remarque encore concernant le point 3 : « En Guinée, traditionnellement, il faut rattacher le problème à quelque chose d’extérieur » (Dr A. Sow). Peut-on comprendre alors que le diagnostic de maladie mentale selon le modèle biomédical puisse prendre sans heurt lieu et place de l’explication traditionnelle (djinns et autres shaytans) ?

Contrairement donc à la démarche psychopathologique qui interroge la vérité de la maladie mentale au cœur même du patient, ces systèmes épistémologiques se chaufferaient du même bois, glané dans cet espace inhabité, extérieur à celui ouvert par le témoignage du patient lorsqu’il parle de l’épreuve qu’il traverse ?

 

Mais alors : peut-on faire des diables les porte-paroles des patients ? Ou, traduit en termes occidentaux : peut-on demander au code génétique (ou au cerveau) de comprendre le sens du message dont ils seraient le support ? Espérer quelques mots des diables sur la vérité du patient ne serait pas différent que de vouloir faire parler les neurones !

 

Monsieur Diallo, tradipraticien rencontré à Simitia, nous éclairera sur ce point qu’il serait trop long de reprendre et de développer dans ce présent rapport de mission.

 

 

  1. Rencontre le 3 mai avec Monsieur Mamadou Saliou Diallo, tradipraticien à Simitia (sous-préfecture de Friguiagbé).

 

Présentations faites, longue et riche discussion sur, entre autres, la nomination des diables (qui revient au guérisseur selon monsieur Diallo).

 

Et donc : De l’importance de la fonction symbolique (aux diables leur silence, tout autant que celui des neurones…), et de l’analogie entre traitements traditionnels en Guinée et très actuelles techniques d’exposition des thérapies comportementalo-cognitivistes.

 

 

  1. Rencontre le 10 mai avec Monsieur Karim Boyer, tradipraticien à Labé.

 

Outre la nosographie traditionnelle, qui se fonde non pas tant sur les symptômes du patient que sur les responsables de ceux-ci (diables, sorciers, féticheurs…), monsieur Boyer et nous avons comparé nos approches respectives en vue d’une collaboration déjà effective mais aux intentions renouvelées.

 

 

  1. Commentaires et réflexions.

 

« Lors des entretiens, n’allons pas trop vite en conclusions » : le nez sur le guidon, à l’affut du premier signe, nos zélés partenaires de travail en oublient le paysage.

 

Regardez à la loupe une toile de Claude Monet : vous ne verrez que des points colorés. Tels sont les items diagnostiques du DSM qui fait fi du tableau clinique, alors que celui-ci ne trouve sa cohérence que lorsque le discours individuel du patient fait écho au désir de comprendre (et non de classifier) du médecin. Le tableau n’est pas la somme des points qui le composent, qu’il soit clinique ou pictural. C’est d’ailleurs que vient son unité (du point 3 de l’entretien structuré), d’un ailleurs dont le DSM prétend se défaire sous prétexte de position athéorique.

 

La maladie mentale se révèle, dans la société rurale guinéenne d’aujourd’hui, d’autant plus douloureuse qu’elle reste inavouable par le patient autant qu’incompréhensible ou irrecevable par son entourage. Les témoignages des patients se sont succédé – à condition de le leur permettre -pour nous le confirmer. Les intervenants étaient unanimes : en milieu rural traditionnel, une souffrance psychique est difficilement partageable parce sans manifestations physiques, et donc sans trace visible, et les débordements de l’esprit ne sont jugés qu’à l’aulne de la conformité sociale.

 

A contrario, rendre les soignants sensibles aux discours des patients en ne faisant pas plus que de permettre que les langues des seconds se délient parce que les oreilles des premiers s’ouvrent, dans un cadre minimal qui le permette, fait surgir chez ceux-ci tout un imaginaire d’une richesse insoupçonnée.

 

Mais un imaginaire aujourd’hui encore inquiétant, fait par exemple de tentatives de séduction sauvages parce qu’incontrôlables de la part de patientes aux instincts débridés par la maladie.

 

Il nous faudra donner toute son importance à cet avènement, le juger à sa juste mesure et y apporter une réponse qui tienne compte des références sociales et culturelles de chacun.

 

Cette question, posée lors d’une enquête concernant « la Stigmatisation de la maladie mentale parmi les étudiants en médecine en Guinée », s’est ouverte en ces termes dans un article signé par le Dr Abdoulaye Sow et coll. : « Mais le plus grand défi est sans doute de ne pas disqualifier la dimension métaphysique de l’existence qui sous-tend les croyances et pratiques populaires en matière de maladie mentale. La pratique médicale occidentale, même lorsqu’elle se prétend globale ou bio-psycho-sociale, ignore le plus souvent la culture comme élément constitutif de la maladie mentale. Il est illusoire de développer l’accompagnement de malades mentaux dans le cadre de politiques communautaires de la santé mentale sans prendre en compte les fondements culturels de ces communautés. Des collaborations avec des guérisseurs pourraient y contribuer. Une piste de recherche serait de comprendre comment les étudiants surmontent la tension entre leur loyauté envers la « rationalité scientifique » de la médecine et leur adhésion profonde aux « croyances culturellement orientées » qui entourent la maladie mentale. En d’autres termes, comment se réorganisent les savoirs profanes des étudiants, confrontés à l’enseignement psychiatrique ? ». Je dirais aujourd’hui, nous concernant : non pas tant « confrontés à l’enseignement psychiatrique » qu’avec les dires des patients au sein d’une relation thérapeutique lorsque les soignants acceptent de s’ouvrir, simplement, à ce qui s’y dit.

 

 

  1. Conclusion

 

Pourquoi l’expérience concrète de la rencontre avec les patients est-elle nécessaire (mais non suffisante) à la compréhension des concepts de base de la clinique psychiatrique ? En d’autres termes : qui d’autre que les patients peuvent nous enseigner la psychiatrie ?

 

Les témoignages des 17 cliniciens des 10 centres de santé impliqués semblent converger vers l’intérêt didactique de la méthodologie proposée.

 

La psychiatrie est, avant tout, la mise en place d’une procédure de rencontre qui rende possible le déploiement d’une parole : celle du patient. Et seule cette parole peut se faire porteuse de la vérité du symptôme.

 

Les cinq ou six molécules nécessaires à l’exercice d’une psychiatrie de qualité (un neuroleptique antipsychotique, un neuroleptique sédatif, un correcteur des effets secondaires des neuroleptiques, deux antidépresseurs, un anxiolytique) et disponibles grâce au soutien de la DGD (Belgique) et de l’ONG belge Mémisa couvrent les premiers besoins médicamenteux nécessaires à la normalisation de la pensée, condition à l’établissement d’une relation thérapeutique. Et nous n’oublierons pas le septième élément (le placebo) dont l’utilisation raisonnée rend parfois possible l’exercice d’une démarche qui peut se nommer sans doute aucun une psychothérapie digne de ce nom.

 

Au cours de cette mission, il nous a semblé percevoir qu’au-delà de la démarche strictement médicale, nécessaire à l’amélioration symptomatique, s’est ouvert aux 17 participants un champ d’exercice nouveau : celui de la rencontre avec le patient et avec ses dires les plus singuliers, et celui des questions qui s’ouvrent alors, pour les uns comme pour les autres, chemin vers un espoir de guérison.

 

 

Dr Michel DEWEZ                                                                                           Labé (Guinée), le 11 mai 2018.

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