Les centres de santé privés à but non lucratif et les cabinets médicaux en Guinée

Première ligne de soins et pandémie du COVID-19 : les centres de santé privés à but non lucratif et les cabinets médicaux en Guinée

Posted on April 10, 2020 by BMJ GH Blogs

This blog is a part of #COVID19Africa Series. Click for English version

En Guinée, le système de santé est essentiellement public. Sa première ligne de soins regroupe 410 centres de santé publics, une centaine de centres de santé et centres médicaux communautaires privés à but non lucratif et de nombreux cabinets médicaux privés lucratifs.

La Guinée a connu plusieurs épidémies dont celle d’Ebola entre 2013 et 2016 qui a fait émerger une Agence Nationale de Sécurité Sanitaire (ANSS), des Equipes Préfectorales d’Alerte et de Riposte aux épidémies (EPARE), ainsi que plusieurs Centres de Traitement Epidémiologique (CT-Epi).

Durant les épidémies successives, la première ligne de soins, a su interagir avec les autorités locales et sanitaires, relais communautaires et ONG d’urgence et à se familiariser avec des stratégies d’intervention.

Avant l’annonce du premier cas de COVID-19 en Guinée le 12 mars 2020, l’ANSS avait mis en alerte toutes les structures de santé, l’administration sanitaire et les communautés pour qu’elles réactivent le dispositif connu pendant Ebola. Les centres de santé forts de leurs expériences, sont devenus incontournables dans tout dispositif de riposte. A la date du 4 avril 2020, la Guinée comptait 111 cas de Coronavirus dont 5 guéri.

Contrairement à l’épidémie d’Ebola où le rôle fondamental des centres de santé était la détection, le référencement et la promotion des mesures de prévention, dans la pandémie du coronavirus ils ont un rôle plus que majeur. Ils jouent un rôle important dans le suivi des personnes dépistés et la mobilisation autour de la population confinée.

Mais les équipes cadres de district dont ils relèvent n’ont pas reçu des moyens pour appliquer les mesures préconisées. A l’absence de kits de lavage des mains et de matériels de protection individuelle, s’ajoutent une pénurie de gants dans certains dépôts régionaux d’approvisionnement et un personnel de santé non formé. Ce déficit est exacerbé par une tension et des bisbilles entre l’ANSS et le ministère de la santé. La situation a amené le Président de la République à taper du poing sur la table, demandant aux protagonistes (ministre de la santé et directeur général de l’ANNS) de jurer à mener ensemble la «guerre».

Pour tout le pays, un seul centre de traitement est reconnu et un seul laboratoire est capable de faire le dépistage par PCR du COVID-19, tous deux à Conakry. Une décentralisation du dépistage est prévue par l’ANSS, mais elle tarde encore.

C’est dans la région de Labé, à l’intérieur du pays, que l’un des premiers cas de coronavirus a été recensé ce 1er avril 2020 avec l’aide d’un relais communautaire affilié à un centre de santé. Ce malade avant d’être transféré à Conakry, situé à 450 km à l’aide de l’ambulance de l’hôpital régional, avait consulté dans deux structures de soins de premier niveau, fermées aujourd’hui. Les contacts du patient sont en cours d’identification.

Au début de l’épidémie de COVID-19, la population guinéenne se sentait peu concernée du fait des rumeurs qui faisaient échos d’une maladie des chinois, puis des blancs et enfin des riches « patrons » dont des hautes personnalités, comme un ministre et le premier responsable d’une institution républicaine.

En plus de ces rumeurs, du fake news et l’état d’urgence décrété avec effet immédiat a créé de la panique. La fermeture des lieux de cultes, l’interdiction de regroupement, le nombre limité de personnes dans les moyens de transport font parties des mesures prises. La fermeture des mosquées et l’interdiction de la prière du vendredi sont considérées comme une atteinte à la foi pour une population de plus de 85% de musulmans.  Les médias et réseaux sociaux bien suivis dans le pays font passer depuis des semaines des informations sur les modes de prévention et les moyens thérapeutiques du coronavirus. Le battage médiatique sur l’Hydroxychloroquine (HCQ) connue en Guinée sous le nom de chloroquine et de nivaquine attire l’attention des guinéens. Ce produit a été retiré dans les années 2005 de l’arsenal thérapeutique contre le paludisme. La floraison d’informations sur le médicament dans une population majoritairement analphabète a amené des familles à s’en procurer, d’abord dans les pharmacies, rapidement vidées, puis au marché noir très prolifique. En une journée, toutes les plaquettes de nivaquine ont été rachetées dans la ville de Boké et utilisées par des nombreuses familles à titre préventif.

Map of COVID-19 In Africa (from Africa CDC)

La rumeur sur le mode de traitement de COVID-19 qui consisterait à faire boire de l’eau ou de la bouillie chaude aux citoyens pour tuer le virus dans la gorge où il séjournerait longtemps avant de rejoindre les voies respiratoires, s’est répandue.

En plus des questions médicales dont les médecins des centres de santé doivent s’occuper, s’ajoutent la gestion des rumeurs, des fausses informations et des préjugés. A partir de leurs associations professionnelles, les médecins s’organisent pour assumer leur rôle de structures de proximité s’occupant de tous les problèmes de santé de leurs communautés.

Un groupe WhatsApp et des communications par mail entre médecins sont fonctionnels. Les médecins du sous-secteur à but non lucratif travaillent ainsi en synergie sur des programmes de plaidoyer pour l’accès aux kits de dépistage et matériels de protection, à l’information et la formation. Suite à un message envoyé par l’animateur de la plateforme aux médecins dans le but de sonder leurs impressions sur le coronavirus, tous ont exprimés leurs craintes, renforcés par l’indisponibilité de matériels de protection et un manque de soutien des pouvoirs publics qui concentrent l’appui aux seuls centres de santé publics.  Ils encouragent les barrières de protection, des rendez-vous personnalisés avec les malades chroniques, la surveillance des personnes récemment rentrés des pays affectées, un planning de travail qui réduit le nombre de personnel quotidiennement dans les cabinets, des affiches de communication, l’utilisation de chaque contact pour faire passer des messages et la lutte contre le fake news.

D’autres initiatives comme la fabrication par les tailleurs locaux des bavettes réutilisables, l’utilisation de la télévision de la salle d’attente pour passer des informations, les visites à domiciles ciblées et l’animation des rubriques d’éducation à la santé dans certaines radios, sont également à l’œuvre. Conflit d’intérêts : Aucun

Biographie :

Abdoulaye Sow, médecin généraliste et de santé publique, directeur de Fraternité Médicale Guinée et promoteur des services de santé de première ligne et de la Formation de médecins de famille en Guinée.

Bart Criel est médecin généraliste et professeur dans le Département de santé publique de l’Institut de médecine tropicale d’Anvers, en Belgique.

 

 

Blog BMJ

COVID-19 en Guinée : mobilisation de la première ligne de soins au Sud et au Nord!

Posted on May 12, 2020 by BMJ GH Blogs

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Malgré la rhétorique en vigueur et l’expérience acquise dans la gestion de l’épidémie de la maladie à virus Ebola, la mise en pratique dans le système de santé guinéen des (dures) leçons apprises laisse

encore à désirer. Bien que toutes les structures de riposte du temps d’Ebola soient encore en place,  le nombre de cas de COVID-19 est passé de 111 le 4 avril 2020 à 1710 le 4 mai. La capacité d’hospitalisation de l’Hôpital Donka (principal centre de traitement du COVID-19 du pays) est dépassée. Plusieurs patients ont passé le weekend du 25 avril dans les couloirs de cet hôpital, nécessitant l’aménagement d’autres lieux de soins. Le traitement est basé sur l’hydroxychloroquine + l’azithromicine.

La gestion de la pandémie reste centralisée, malgré la faible capacité d’accueil, de soins et de suivi des contacts du dispositif actuel.  Pourtant, les soignants des structures primaires et des hôpitaux de district sont mobilisables et peuvent contribuer au désengorgement de l’Hôpital Donka à Conakry, principal foyer de la maladie.

Avant notre blog de début avril , un seul laboratoire pratiquait la PCR. Aujourd’hui, 3 sont fonctionnels à Conakry, et 1 en province. Au lieu d’un seul lieu de prélèvements, il en existe aujourd’hui une dizaine.

Des  laborantins sont en cours de formation. Avec le faible nombre de cas il y a quelques semaines, le délai dans la communication des résultats était de maximum 48 heures. L’affluence actuelle entraine des retards allant jusqu’à 3 jours et plus. Il n’existait qu’un seul centre de traitement début avril, à ce jour il y’en a  3, dont 2 à Conakry. L’aménagement d’autres sites est programmé. La mobilité des habitants entre préfectures étant considérable, la capitale est confinée depuis mi-avril. Pour sortir de Conakry, une autorisation conditionnée  par un test négatif au COVID-19 est exigée. Le port de masques rendu obligatoire depuis le 19 avril 2020 est strictement respecté, du moins quand les services de contrôle sont présents. Le conseil scientifique récemment mis en place a déclaré qu’une quarantaine complète était impossible à Conakry en raison de la pauvreté et de la promiscuité.

Parmi les 1710 cas de COVID-19 notifiés ce 4 mai  2020, on dénombre 450 guéris et 9 décès à l’hôpital dont des hauts commis de l’Etat : un ministre, un Président d’institution républicaine et des personnalités de l’administration publique. Ces décès ont amplifié les fake news et rumeurs comme quoi « le coronavirus  est fait pour les riches », mais ont aussi montré que personne  n’est épargné de COVID-19 et que chacun peut en mourir quel que soient ses moyens et  rang social.

D’autres problèmes liés à  COVID-19 sont observés. Les centres de santé et les hôpitaux sont confrontés à une faible fréquentation.  Le risque de contracter la maladie déterre les usagers à fréquenter les services de santé.  Même si des malades VIH et ceux avec des troubles mentaux continuent à fréquenter les centres de santé, ce n’est pas le cas pour les patients tuberculeux en rupture de médicaments depuis début avril. Une situation qui met à mal les médecins des centres de santé, menacés par des patients furieux, jusque-là compliants. La rupture serait due à la fermeture des frontières et à l’arrêt du transport aérien, mais des problèmes structurels sont pointés du doigt, en particulier le manque d’anticipation des commandes. Même l’ONG MSF jusque-là prompte à résoudre des situations d’urgence similaires, se trouve dans l’incapacité de satisfaire les besoins des structures qu’elle appui.

Bien que la gestion de l’épidémie soit excessivement centralisée, la première ligne de soins et son personnel polyvalent (médecins, infirmiers, sages-femmes et laborantins) se mobilisent. Des formations de formateurs sont organisées pour atteindre le personnel des centres de santé et des agents de santé communautaires. Des équipements de protection sont distribués au personnel soignant et les centres de santé les distribuent gratuitement à certaines catégories de patients: malades chroniques, personnes âgées avec comorbidités,… Des spots radios portant sur le coronavirus sont diffusés dans les radios locales en langue du terroir.  Les agents de santé communautaire encadrés par les soignants font du porte à porte pour informer les ménages. Avec l’appui des préfets et maires, certains ont installés des cordons sécuritaires à l’entrée des villes.

Une dynamique est également entretenue entre le Nord et le Sud par mail et Skype. Une trentaine de médecins généralistes guinéens échangent avec leurs homologues  dans 2 maisons de santé en France et une dizaine des maisons médicales en Belgique. Ces échanges génèrent un renforcement mutuel des stratégies d’intervention au travers des partages de documents et de pratiques : dépistage, suivi des contacts, organisation des soins, gestion du dispositif de confinement et collaboration hôpitaux et première ligne de soins. Ceci permet de rompre l’isolement des médecins installés en zone rurale guinéenne. Ces échanges constituent un soutien émotionnel devant la peur, le stress et le burnout.   Une vingtaine de patients souffrant du VIH/SIDA et sous traitement ARV en France, en Belgique, au Sénégal et en Côte d’Ivoire, mais actuellement en Guinée, ont été répertoriés par les médecins des centres de santé. Ces patients, présents en Guinée avant la fermeture des frontières, ont été insérés dans la cohorte que les médecins suivent, grâce à la flexibilité du  programme national de lutte le Sida et les Hépatites qui approvisionne leurs centres de santé.

Les médecins généralistes du Nord et du Sud surmontent les difficultés liées aux schémas de traitement (trithérapie) souvent différentes d’un pays à l’autre. Des substitutions d’ARV sont faites en concertation avec les spécialistes. La continuité des soins est également affectée par le confinement pour les patients sous ARV vivant à l’intérieur du pays mais suivis à Conakry. Des arrangements avec les syndicats des transporteurs de marchandises sont mis en place afin de convoyer les médicaments des patients.

La situation globale n’est pas reluisante. Mais la première ligne de soins, impliquée ou non par les autorités de santé dans la gestion de cette crise, occupe une place de choix en ce temps d’épidémie. Elle essaye, tant bien que mal, d’apporter des solutions accessibles et acceptables à leurs populations.

Biographie :

Abdoulaye Sow, médecin généraliste et de santé publique, Directeur de Fraternité Médicale Guinée et promoteur des services de santé de première ligne et de la Formation de médecins de famille en Guinée.

Bart Criel est médecin généraliste et de santé publique, Professeur dans le Département de santé publique de l’Institut de médecine tropicale d’Anvers, en Belgique.

Conflit d’intérêts : Aucun

 

 

Blog BMJ

Santé mentale et COVID-19 en soins de santé primaires en Guinée: Entre stigmatisation et solidarité

Posted on June 29, 2020 by BMJ GH Blogs

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En Guinée, les statistiques de la pandémie à coronavirus publiées quotidiennement ne font pas mention des catégories socio-professionnelles des personnes infectées. Toutefois, le personnel de santé fait partie des groupes à risque pour transmettre et contracter la maladie.

Ce blogue fait suite à ceux publiés en avril et mai 2020 dans le BMJ Global Health par deux témoins privilégiés de la lutte contre le COVID-19 en Guinée.

Du 4 mai au 4 juin 2020, le nombre de cas de COVID-19 notifiés est passé de 1710 à 3991 et le nombre de décès de 9 à 23 cas, et de 1450 à 2512 guéris. Durant la même période, les mesures de restriction pour contenir l’épidémie ont été durcies, entrainant des violences et la mort de 6 manifestants dans la banlieue de Conakry. Dans sa déclaration du 22 mai 2020, le conseil scientifique a pointé du doigt des faiblesses dans le dispositif de riposte, en particulier la centralisation et la concentration des efforts sur les seuls aspects médicaux de la maladie. Or, plusieurs acteurs clés souhaitent être associés, d’autant que la ville de Conakry n’a plus le monopole de l’infection. La maladie s’est rependue dans plusieurs autres villes, dans des établissements de soins et entreprises et à la plus importante prison du pays, où un centre de traitement fut installé. C’est le cas également du centre de santé associatif de Hafia Minière, situé dans un quartier populaire de Conakry.

Le dit centre appartient à l’Organisation Non Gouvernementale « Fraternité Médicale Guinée » (FMG) qui investit dans les soins de santé primaires. Le siège de l’ONG et le centre de santé se trouvent dans deux bâtiments contigus. Dans le quartier Hafia Minière, l’accès à l’eau potable est entier. Un forage a été construit par le centre de santé pour ses propres besoins, ceux des patients et du personnel de santé.

La population du quartier s’y approvisionne également, faisant de la cour du centre, un lieu de brassage quotidien entre patients, personnel de santé et riverains.

En plus de son caractère polyvalent (s’occuper de l’ensemble des problèmes de santé de sa population de responsabilité), le centre de santé assure le suivi d’une file active de 500 patients sous ARV, 450 sous traitement antituberculeux et plus de 2000 malades épileptiques et ayant des troubles mentaux. Quelques 2348 travailleuses du sexe, 233 hommes ayant les rapports sexuels avec les hommes (HSH) et 23 usagers de drogues et 531 prisonniers bénéficient des services du centre de santé sur place ou en stratégie mobile. Les enfants et les femmes enceintes reçoivent quotidiennement des vaccins et 40 accouchements sont effectués en moyenne par mois.

Dès l’apparition des premiers cas de COVID-19 à Conakry, le dispositif mis en place en période Ebola a été réactivé, notamment le lavage systématique des mains à l’eau chlorée et la prise de la température à la rentrée. La distanciation sociale, l’une des mesures phares de la prévention du COVID-19 a suivi peu à peu, mais la salle d’attente était bondée les jours d’affluence, obligeant le centre de santé à construire des bancs supplémentaires et d’aménager des nouveaux espaces d’accueil et de tri. Depuis que le nombre de cas de COVID-19 a explosé à Conakry, la fréquentation du centre a baissé pour les services courants (consultations primaires curatives et prénatales, vaccinations, soins) et la prise en charge de quelques groupes de population, en particulier les professionnelles du sexe et les hommes ayant les rapports sexuels avec les hommes. Ce n’est pas le cas pour les malades du VIH, de la tuberculose, les épileptiques et les personnes ayant des troubles  mentaux, qui viennent quasiment comme d’habitude. La relation dans la durée de ces patients, la confiance soignant-soigné, l’exclusivité et la gratuité de l’offre pourraient expliquer ce hiatus.

Le centre de santé Hafia Minière est l’un des rares dans le système de santé guinéen à s’occuper des questions de santé mentale au niveau primaire.

Le 9 mai 2020, un cas de COVID-19 testé le 5 mai est confirmé parmi le personnel du centre de santé. Le 11 mai, 72 personnes (soignants, administrateurs, stagiaires, bénévoles et quelques ouvriers) qui gravitent autour du centre de santé sont testées. Les résultats ne seront disponibles que les 15 et 16 mai 2020. Parmi eux, 11 cas se révèleront positifs et seront hospitalisés dans 3 centres de traitement différents à Conakry. Parmi les négatifs du test du 11 mai, 1 cas présentera une anosmie et la toux dès le 16 mai. Ce dernier sera conduit dans le pavillon des suspects du centre de traitement de Donka où il sera hospitalisé et son test repris. Un traitement à la chloroquine et à l’azithromycine (protocole utilisé en Guinée) lui sera proposé avant l’arrivée de son résultat positif, le 19 mai, complétant le nombre de 13 patients. Un dispositif de suivi pour l’ensemble du personnel, leurs familles et contacts sera mis en place par le centre de santé de Hafia Minière, parallèlement à celui des équipes de l’Agence Nationale de la Sécurité Sanitaire. De l’ensemble de ces contacts suivis, seuls 4 conjoints et proches seront positifs durant les deux semaines qui ont suivi l’hospitalisation du dernier des 13 patients.

Du dépistage du premier cas, à l’annonce de son résultat, aux séances de prélèvement collectif, à la longue attente des résultats et leur annonce,  aux épreuves liées aux hospitalisations, aux prélèvements des conjoints et contacts des cas positifs et l’annonce de leurs résultats, nous avons relevés plusieurs évènements allant de la peur, le stress, l’angoisse, la fureur, la tension, l’isolement, des autoconfinements au centre de santé et à domicile, des pleurs et parfois de la joie de la délivrance à l’annonce d’un résultat négatif. Nous avons également relevé des prémisses d’une stigmatisation implicite et explicite dans l’environnement de travail. Au même moment cependant, une solidarité s’est construite autour des patients, d’abord à l’interne, puis dans le pays et au-delà des frontières (https://blogs.bmj.com/bmjgh/2020/05/12/covid19inguineathefirstlineofhealthcareinsouthandnorthgetreadyforaction/). Dès l’annonce du premier cas, FMG a aussitôt mis en place un fonds de solidarité pour soutenir les collègues hospitalisés et leurs familles. Ce fonds fera rapidement ses preuves en soutenant l’achat des médicaments pour les patients avec comorbidités, de la nourriture adaptée aux souhaits des patients et un soutien fort de leurs familles.

Malgré la particularité du centre de santé Hafia Minière dans l’offre des services en santé mentale, nous avons pu déceler dans les discours et attitudes quelques indices de stigmatisation entre collègues. A la place de la distanciation sociale, nous avons parfois assisté à des évitements et des discours, genre : « Où ils/elles ont pris cette maladie, comment ont-ils pu être contaminés, est-ce que celui-ci n’était pas en contact avec eux, est-ce que celui-là ne s’est pas approché de moi, ne va plus chez celui-ci, ne t’approche plus de celui-là, ne monte plus à l’étage, ne rentre plus dans ce bureau, je ne viendrai plus au centre de santé et toi ? Comment vous pouvez continuer à ouvrir le centre de santé alors qu’il y a eu des cas, je ne veux pas que les gens sachent que je suis positif, faut pas dire à mes collègues qu’il y a eu des cas en famille… ».

A contrario, les messages de compassion et des actes la solidarité ont été également marquants : des appels téléphoniques pour donner des messages de réconfort, un accompagnement des patients dans les centres de traitement et lieux de prélèvement, une mise à disposition de ses propres moyens de déplacement, l’envoi des effets personnels des patients dans les centres de traitement, des visites aux enfants des collègues hospitalisés, la mise en relation des soignants des centres de traitement avec les patients, l’apport des repas aux patients à l’hôpital et à leurs familles à domicile, le transfert des crédits dans les téléphones, des informations aux familles sur l’état de santé de leurs parents, le soutien psychologique, le respect de l’éthique, de la confidentialité et la volonté des patients et de leurs familles sur leurs statuts sérologiques au COVID-19, la mise en place d’une commission de solidarité et la collecte des contributions. Dans cet élan, le fonds de solidarité sera équitablement utilisé : ceux qui ont des comorbidités bénéficient des médicaments non couverts par les centres de traitement, ceux qui ont des enfants en charge laissés à la maison reçoivent des soutiens proportionnés aux besoins. Qu’ils soient salariés titulaires, stagiaires ou ouvriers, chacun sera soutenu à la hauteur des besoins constatés, sans aucune discrimination.

Si l’épidémie a une répercussion importante sur la santé mentale des personnes affectées, la solidarité qu’elle créée est l’expression du symbole de la proximité des centres de santé avec les populations qu’ils desservent, la preuve de la pertinence de l’équipe dans une institution et l’esprit de la vie associative.

L’épidémie et les malheurs qu’elle engendre réveillent des sentiments multiples et variés: d’une part la peur qui peut conduire à la stigmatisation et d’autre part, la compassion, la pitié et le sentiment d’appartenance qui peut réveiller la solidarité.

Le centre de santé de Hafia Minière et son administration ont intensément vécu cette expérience  unique qui interroge le soignant en tant qu’être humain, avec ses propres émotions, sentiments et positionnement au lieu de travail.

 Biographie :

Abdoulaye Sow, médecin généraliste et de santé publique, Directeur de Fraternité Médicale Guinée et promoteur des services de santé de première ligne et de la Formation de médecins de famille en Guinée.

Bart Criel est médecin généraliste et de santé publique, Professeur dans le Département de santé publique de l’Institut de médecine tropicale d’Anvers, en Belgique.

Conflit d’intérêts : Aucun

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